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LE PROGRAMME
DES MODERNISTES
D«,:^i 1„ Google
D«,:^i i„ Google
BDUOTBtQDI DE (RITigUE RELIGMSE
LE PROGRAMME
DES MODERNISTES
RÉPLIQUE
à rmcycliqiie de Pie X : " Pascoidl Domiolcl Gre0 "
• Que ce qDl doit monrlr, meure ; que ce
qnt d<Hl p6rir, périsse.
ZACHtnii XI, 9 1.
• Elargis l'espi™ ■!" ta teate, qu'on dépitée
!■> onTertnrea de ta demeare ; as relleus pas 1
allonge les cordages et aflermls tee nleoi I
Car tn le répaDdraa t droite et t ganehe ; ta
poat^rilé envahira 1«s nation» et peaptela lea
Tlllei dteertea.
laïlc UV, M •
PARIS
LIBRAIRIE CRITIQUE
EMILE NOURRY
il, rot NotrfDama di LorltH
1908
TOUS nnom Binnvta
i,Coo^^lc
.^^
f.^^
D«,:^i 1„ Google
"^Lù/h
A M. EMILE NOURRY
Cher Monsieur,
Vous me demandez une préface pour la tra-
duction française du « Programme dea Moder-
nistes » ; mais U serait superflu de parler ici
de la disposition d'esprit de ces derniers et de
leur attitude après l'Encyclique Pascendi, puis-
que les pages qui vont suivre expliqueront
l'une et l'autre, d'une manière un peu synthé-
tique peut-être, du moins avec toate la clarté
désirable.
Je crois cependant que je pourrai intéresser
les lecteurs de cette traduction en leur faisant
connaître quelques épisodes inédits et caracté-
ristiques des efforts tentés par ie Vatican pour
préparer en Italie et au dehors ud accueil favo-
rable à l'Encyclique, accueil que les auteurs
de ce document jugeaient nécessaire, car ils
n'ignoraient point que cette publication allait
: L.^K^il^lC
U PRâPACE
soulever les plus énergiques protestations de
la part des savants et des esprits libres.
Or le Vatican, qui ne manque certainement
pas de moyen d'influeoce, a atteint en partie
le but qu'il se proposait, car s'il n'a pu influen-
cer la presse indépendante et honnête — en
sensible minorité chez nous, malheureusement
— il a vu des journalistes libéraux et francs-
maçons, des philosophes rationalistes et des
protestants emboîter le pas aux cléricaux pour
proclamer la logique de l'acte pontifical et par
conséquent l'hérésie des modernistes.
Mais ces jugements que le public croit im-
partiaux et désintéressés, parce qu'il en ignore
la provenance, sortent précisément, à de rares
exceptions près, du même ofllce de rédaction
d'où l'Encyclique est sortie. Ceux qui connais-
sent les conditions faites à la presse romaine
savent que quelques personnes seulement ont
le monopole des nouvelles vaticanes, que celles-
ci leur sont communiquées avec l'obligation de
les publier dans la forme et de la manière qui
leur sont ordonnées, et que si quelqu'un de ces
privilégiés s'avisait de contrevenir à l'obliga-
tion imposée, il se verrait fermer immédiate-
tement et pour tonjours toutes les voies d'in-
formation.
D«,:^ii,,Goo'^li:
PRÉFACE m
Ces personnes ont en outre le monopote des
journaux ; il est de Dotoriété publique qu'elles
ont à leur disposition huit ou neuf journaux
Italiens et étrangers pour les nouvelles du Vati-
can ; celles-ci sont envoyées simultanément et
dans la même forme h tous les organes en ques-
tion: toutes sont puisées à la même source sûre
et intarissable et qui d'ailleurs n'est pas seule-
ment riche en informations, mais encore en
expédients. On sait, en effet, que le correspon-
dant romain d'un grand journal de la haute
Italie ne cache pas h ses amis les secours finan-
ciers qu'il reçoit du Vatican et l'impossibilité
où il serait sans cela de faire vivre sa famille
avec les 200 lires environ d'appointement que
lui sert le journal ; il ne saurait par conséquent
refuser une assistance matérielle due à la géné-
rosité intéressée de ceux à qui il ne cesse de
prodiguer, chaque jour, hommages et louan-
ges.
On est également au courant des relations
d'autres « correspondants romains » avec un
certain Monsignor dont on a beaucoup parlé
au cours des polémiques qui ont suivi l'appa-
rition de l'Encyclique Pasceudi. Ce Monsignor
a installé dans sa maison, située dans le cen-
tre, ii peu de distance de la « salle de la presse »
: L.^K^il^lC
au Télégraphe, une véritable agence d'infor-
mations avec téléphone particulier dont le nu-
méro est éliminé, peut-être par prudence, de la
liste des abonnés, mais communiqué par lui
avec empressement aux personnes intéressées
à le connaître. C'est de cette agence que sort
aussi le bulletin du Vatican connu sous le nom
de K Correspondance romaine », qu'un catho-
lique italien notable n'a pas hésité de qualifier
publiquement de « fameux ». C'est elle égale-
ment qui a publié 1' « extrait autorisé » de
l'Encyclique Pasccndi reproduit par tous les
journaux d'Europe.
Et vraiment le « plan régulateur » de l'ac-
cueilàfaireàl'Ëncycliqueaétéaussibienexécuté
que conçu, en sorte que la « correspondance
romaine » pouvait affirmer, quelques jonrs
après, que la grande majorité des organes de
la presse internationale avait accueilli l'En-
cyclique comme un acte juste et nécessaire de
la part du Vatican. Dans cette constatation du
clandestin bulletin, désavoué par Pie X dans
un interview qui n'a pas été démenti, il y
avait évidemment de l'exagération. Mais à ce
moment-là tout était bon pour donner aux
catholiques du monde entier l'illusion de la
nécessité de l'Encyclique que la plupart regar-
FRÉPÀCE V
daient comme souverainement inopportune et
préjudiciable à l'Eglise, à une époque oîi son
influence diminue sensiblement dans les na-
tions ouvertes au progrès moderne.
A la nouvelle que les modernistes prépa-
raient une réponse respectueuse et calme &
l'Encyclique, toute la presse cléricale se sou-
leva en criant au scandale et en faisant des
vceux pour qu'une telle honte fi\t épargnée à
l'Église. Le « Programme des Modernistes »,
rédigé avec le concours des modernistes des
autres pays, parut le 28 octobre, un mois après
l'Encyclique Pascendi. La haute sérénité de
celte réponse, son respect profond pour la
personne du Souverain Pontife, le souffle inté-
gralement chrétien qui l'anime, sa clarté, sa
franchise ont produit généralement une im-
pression profonde dont le contre-coup s'est
aussitôt fait sentir dans la presse. Celle-ci, après
avoir déclaré tout d'abord que l'Encyclique
était un acte logique et légitime de la part de
l'autorité, ne peut s'empêcher de reconnaître
dans la réplique la justesse et la légitimité de
la défense en même temps qu'un sincère atta-
chement à la cause du christianisme joint à des
études consciencieuses et solides.
Mais les coups aveuglement portés par l'au-
: L.OO^k-
torité n'étaient encore qu'à leur début. Quel-
ques jours après la publication du « Pro-
gramme d^s Modernistes b le Cardinal Vicaire
de Sa Sainteté rendait, un décret prononçant
l'excommunication, en la forme réservée au
Pape, contre les auteurs, les rédacteurs et tous
ceux qui d'une manière quelconque avaient col-
laboré à la composition de la Réplique. Le vo-
lume était interdit dans le diocèse de Rome sous
peine de péché mortel pour ceux qui l'achète-
raient, le vendraient ou le détiendraient, et l'on
invitait tous les Évêques à rendre un semblable
décret pour leurs diocèses respectifs.
Il me serait impossible de décrire l'impres-
sion désastreuse produite par ce décret. Qu'il
me sufQse de dire qu'ayant rencontré, le jour
suivant, l'un de mes amis, prélat instruit et
fort estimé qui occupe un poste éminent dans
la hiérarchie ecclésiastique, et lui ayant de-
mandé son avis sur la récente mesure, je reçus
de lui cette réponse : a Chaque jour nous ap-
porte une nouveauté ; hier, par le moyen de la
Réplique à l'Encyclique, que je me suis bien
gardé de lire, les modernistes ont pris en face
du Vatican une attitude de combat, et mainte-
nant voici que celui-ci, qui reste désarmé et
sans action directe pour frapper les dissidents.
lance au milieu de l'indiflérence générale, sans
se préoccuper de l'elîet tout opposé qu'elles
produisent dans le monde des fidèles et des in-
croyantSj des excommunications destinées, je
le prévois bien, à demeurer lettre morte. Il no
nous reste plus, cher ami, ajouta-t-il tristement,
qu'à nous tenir chez nous, cachés et inertes,
tandis qu'il y aurait tant à faire en dehors de
ces luttes doctrinales... »
Telle fut l'impression dans le monde ecclé-
siastique le plus orthodoxe. Je ne parle pas de
celle qu'éprouvèrent les modernistes. J'ai en-
tendu dire plusieurs fois, ces jours-ci, qu'il n'y a
plus maintenant à se préoccuper aucunement
du Vatican et qu'il faut se mettre à étudier avec
une nouvelle ardeur. C'est là le seul moyen de
rendre à l'Église cette importance et cette in-
fluence sociale que d'autres, de jour en jour,
semblent prendre à tâche de lui ravir.
L'autorité, d'autre part, était aux aguets pour
découvrir quels pouvaient bien être les auteurs
de !a Réplique que l'on affirmait être des prê-
tres. Le matin du jour qui suivit la promulga-
tion du décret d'excommunication, on envoya
dans les églises de Rome où les prêtres « sus-
pects » disaient la messe, des amis sûrs pour
voir si quelqu'un d'entre eux, frappé par
Vm PR^PACB
l'excommunication, s'abstiendrait de célébrer.
Mais il n'y eut pas une messe de moins à Rome
ce jour-là. Il fallait donc chercher ailleurs les
auteurs, et ie Cardinal Vicaire, après avoir con-
féré à midi avec son secrétaire et pris con-
naissance du résultat négatif de l'enquête, télé-
graphia aux Ëvêques des diocèses où se trou-
vaient d'autres prêtres tenus en suspicion, afin
qu'ils fissent des recherches de leur côté. Mais,
malgré tous les moyens mis en œuvre par
l'autorité, il n'a pas été possible jusqu'à ce
jour, de connaître même un seul des auteurs
présumés de la Réplique. On fait cependant à
ce sujet les conjectures les plus variées. Le
premier ecclésiastique soupçonné fut naturel"
lement Dom Romolo Murri, puisqu'on le reud
responsable de tous les actes des modernistes.
Mais on apprit ensuite que ses conceptions
philosophiques étaient, en substance, différen-
tes de celles des rédacteurs de la Réplique, bien
qu'il s'accordât avec ces derniers pour tout ce
qui concerne la critique biblique et historique.
On cessa donc de voir en lui, comme on l'avait
prétendu, l'auteur ou du moins le rédacteur
principal du document. Ce fut alors le tour
du Père Giovanni Semeria que l'on savait très
sympathique aux idées exposées dans le livre
en question ; puis de l'abbé Ernesto Buonaiuti,
directeur de la Itivista storico-critica di scienze
teologiche et hardi propagateur des théories
immanentistes, jeune homme de grand talent,
ci-devant professeur à l'Université pontilîcale
Apollinaire et qui fut privé de ses fonctions à
la suite d'une insidieuse campagne de dénigra-
tion menée contre lui par la Civiltà Cattolka,
enfin auteur, sous le pseudonyme de G. Landro,
d'un opuscule sur la philosophie de l'action qui
eut beaucoupde succès. On pensa ensuite ai ncri-
miner le Père Alessandro Ghignoni, barnabite,
dont lerécentet volontaire éloignementde Rome
pour l'accomplissement d'un grand devoir de
solidarité humaine et chrétienne vis-à-vis d'un
frère qui avait besoin de son aide, accrédita
l'idée qu'il avait été exilé par l'autorité comme
fortement suspect ; puis le Père Giovanni
Genocchi des Missionnaires du Sacré-Cœur,
membre de la Commission biblique, dévoué h.
la jeunesse dont il est très aimé. On en vint
enlîn aux suppositions les plus curieuses : un
évêque, recteur d'un séminaire romain, fut
accusé lui aussi d'avoir collaboré à la Réplique,
parce qu'il permettait aux élèves de son sémi-
naire de lire la Hivista di CuUura de Dom
Murri et que, plutôt réservé dans la controverse
: L.^K^il^lC
X PHÉFACB
contre les modernistes il lui arrivait même
parfois de les défendre. Un jeune Père des
Missionnaires du Sacré-Cœur, fort instruit,
secrétaire d'une commission pontificale, com-
plètement étranger aux controverses actuelles,
fut désigné lui aussi comme pouvant bien être
l'un des auteurs de l'ouvrage condamné, pour
la seule raison qu'on le voyait se promener
parfois en compagnie de quelques étudiants
universitaires connus comme modernistes. Et
l'on en pourrait citer bien d'autres encore.
Le grand organe des Jésuites, la Civillà Catto-
lïca, par ses insinuations perfides, ne tarda pas
à venir, comme policier volontaire, prendre sa
part des écrasantes fatigues occasionnées par
ces recherches. La tâche, en effet, est difficile
et rude ; on ne trouve personne qui soit dis-
posé à violer le secret imposé et l'on n'a même
pas cette fois-ci la ressource de la dévote scru-
puleuse qui, pour soulager sa conscience tour-
mentée par un doute angoissant, a recours aux
lumières des Révérends Pères de la Cimltà. On
n'a certainement pas oublié la pieuse dame
qui, scandalisée d'avoir assisté à une réunion
des « Cbevaliers du Saint-Esprit » suspects de
«fogazzarîanisme», alla épancher son indigna-
tion chrétienne dans les bras de l'un des Pères
D,<,,r,:^i 1„ Gotlglc
de la Civillà, afin que la chose fût dûment com-
muniquée aux ortiiodoxes lecteurs de la revue.
Mais dans les circonstances présentes on n'a
même pas d'espoir de ee genre.
Cependant ceux qui, au Vatican, sont char-
gés d'attirer l'attention du public sur les actes
du Souverain Pontife ou attribués au Souverain
Pontife, continuent leur guerre aveugle, obsti-
née, contre le modernisme, guerre dirigée plus
particulièrement contre les personnes et qui
dégénère en une véritable diffamation d'autant
plus coupable qu'elle se présente comme
approuvée par la suprême autorité religieuse.
Georges Tyrrell, un des plus puissants esprits
dont le catholicisme aujourd'hui puisse se faire
gloire, est insulté bassement avec les procédés
coutumiers par le clandestin petit bulletin du
Vatican, et à ses réponses dignes et vigoureu-
ses, on objecte qu'il méconnaît l'autorité de
l'Église.
Le Monsignor, qui fait la pluie et le beau
temps au Vatican et au dehors, continue à rece-
voir les journalistes, à téléphoner, à donner
ses jugements autorisés, à la condition, bien
entendu, qu'on ne divulgue pas son nom :
« Tel prêtre a été vu en compagnie de telle
personne ; on croit par conséquent qu'ils sont
: L.OO^k-
en train de comploter quelque chose contre le
Vatican. Tel Père quitte Rome parce qu'il est
fortement soupçonné d'être l'un des auteurs de
la Réplique. Le Père Tyrrel est dorénavant hors
de l'Église. Le cardinal Newman n'a absolu-
ment rien de commun avec les modernistes. Le
modernisme est déjà objet de curiosité archéo-
logique ». Et dans les conversations privées,
il en dit bien d'autres.
Mgr De Lai, l'un des adversaires les plus
déclarés et les plus tenaces des nouveaux cou-
rants d'idées, est élevé à la pourpre. Le cardi-
nal Capecelatro, sollicité par le Vatican, combat
le modernisme dans des interviews et des dis-
cours publics. Mgr Bonomelli — lui aussi ! —
interdît bruyamment dans son diocèse les re-
vues modernistes, toujours à l'instigation du
Vatican qui veut tromper le public en lui mon-
trant que ceux-là même qu'on regarde comme
des hommes savants et sachant être de leur
temps, attaquent le modernisme. Le Pape fait
paraître un nouveau document pour conférer —
chose vraiment inconcevable — à. la Commis-
sion biblique, célèbre par ses délibérations for-
mellement contraires aux conclusions des hom-
mes de science, l'autorité de congrégation ro-
maine dont les décisions devront être accep-
D«,:^ii,,Goo'^li:
PnipACB lui
tées en conscience par ies fidèles. Un sémina-
riste sicilien, élève d'un collège de Rome,
trouvé en possession d'un exemplaire du « Pro-
gramme des Modernistes », vient d'être expulsé
ipso facto et rapatrié. On n'en finirait pas si
l'on voulait tout dire. . .
On annonce l'apparition de deux contre-répli-
ques à la Réplique des modernistes.
L'une d'elles a vu le jour hier : c'est un opus-
cule sans valeur dû à un Monsignor méridional
qui eut son heure de célébrité par suite d'un
procès intenté à un évêqiie de la Fouille. Il ne
vaudrait vraiment pas la peine de s'occuper de
ce lihcUe qui, au lieu d'opposer des raisons
sérieuses et des doctrines aux arguments des
modernistes, vomit contre eux les injures les
plus venimeuses, leur prodiguant des épithè-
tes que ne se permettent point les gens bien
élevés et qui, à plus forte raison, ne devraient
pas servir à un prêtre pour invectiver ses frè-
res. Mais l'histoire de cet opuscule a, elle aussi,
des dessous qui méritent d'être connus et qui
donnent une idée peu favorable des intentions
et des procédés des adversaires du moder-
nisme.
La brochure devait être éditée par une li-
brairie pontiUcale de Rome. Elle fut donc en
: L.OO^k-
voyée au maître des Sacrés Palais pour être re- '
vêtue de Vimprimatur. Mais !e Père Lepidi ne
ne crut pas devoir l'accorder et il retourna Jes
épreuves h l'auteur avec une lettre lui expli-
quant qu'il était nécessaire de changer le titre
et de supprimer bon nombre de phrases inju-
rieuses et triviales. Cependant l'auteur se garda
bien de suivre les conseils du P. Lepidi et après
avoir simplement modifié le titre, il imprima
l'opuscule tel qu'il était écrit, sans omettre la
mention d'imprimatur. 11 en expédia ensuite
un exemplaire au maître des Sacrés Palais à qui
il écrivit en même temps pour s'excuser de
n'avoir pu obtempérer à son désir, attendu que
l'ouvrage était déjà imprimé, ajoutant qu'il
avait du moins changé la couverture et modifié
le titre. Cette couverture imprimée par une typo-
graphie pontilîcale ne portait plus le nom de
la librairie qui en avait annoncé la publication.
Le P. Lepidi, indigné de cette manière d'a-
gir, avait l'intention de faire connaître aux
journaux la vérité sur l'imprimatur du volume
en question, afin de mettre en garde les catho-
liques, mais des amis lui firent entrevoir que
sa lettre appellerait l'attention sur l'opuscule
qu'il valait mieux ignorer ; il suivit donc leur
conseil et garda le silence.
i,Coo^k'
li n'est pas inutile de faire remarquer en
passant que l'auteur en robe violette, dans son
double procès devant les tribunaux civils et
ecclésiastiques, était assisté auprès de ta Congré-
gation du Concile par un avocat connu, corres-
pondant romain d'un journal socialiste, précé-
demment rédacteur de l'organe officiel du Saint-
Siège, puis directeur d'un journal ennemi du
Vatican et qui, à cause de son attitude particu-
lière dans la presse, fut récemment chassé de
la direction de la dite feuille socialiste.
Mais j'entends la question qui m'est posée,
spontanée, pressante : Et que fait donc le
Pape?
Ah ! le Pape !
Je l'ai vu l'autre jour dans la salle du Consis-
toire, alors qu'il tendait aux visiteurs, mem-
bres du Congrès anti-esclavagiste, une main
lourde et fatiguée. Et j'ai entendu aussi ses pa-
roles décousues, ses idées d'un autre âge :
a Un gouvernement, pour bien gouverner, doit
être despotique et tyrannique ». Peut-être, cher
Monsieur, n'avez-vous pas lu ces paroles et
d'autres semblables dans le texte officiel du dis-
cours publié deux jours après. Mais je les ai
entendues de mes oreilles et d'autres les ont
D«,:^il,,G00^k'
tn PBÉPAGti
entendues commemoi et nous enavons éprouvé
une grande tristesse. Je me souvins alors de ce
que m'avait dit la veille le rédacteur d'un jour-
nal romain, le seul journal romain peut-être
qui garde sa liberté de jugement et une vue
claire de la situation, parce qu'il est le seul
que n'influence pas l'esprit de parti : « L'Église
traverse une période d'aveuglement dont on ne
retrouve des exemples analogues qu'à certaines
époques du Moyen-Age, moments si tristes que
l'Ëglise elle-même est obligée de les déplorer
aujourd'hui. Souhaitons qu'elle n'ait pas h dé-
plorer de même la présente phase do son his-
toire qui n'est certainement pas la plus tran-
quille ».
C'est avec le même souhait, cher Monsieur,
que je termine.
GUGLIELMO QUADRATTO.
Rome, 8 décembre 1907.
D«,:^i 1„ Google
INTRODUCTION
NÉCESSITÉ d'une EXPLICATION
Un document aussi grave que la récente
Encyclique pontificale, grave par son contenu
comme par la forme elle-même ; une tentative
aussi étudiée de présenter au public les doctri-
nea modernistes (1) sous un jour faux et anti-
pathique ; une accusation, émanant d'une si
haute autorité, qui fait de nous autres, moder-
nistes, de dangereux adversaires de la piété
chrétienne et d'inconscients propagateurs d'athé-
isme, nous imposent, vis-à-vis de notre propre
conscience et de la conscience collective des
fidèles et en présence du vif intérêt soulevé
dans le public, le devoir d'exposer sans dégui-
(1) Noua déclnroDI une lois pour toutes que c'est uniquement
pour nous taire comprendra du public que nouj adoptons ce
mot consacré par l'Encyclique, mais que nous ne croyons pas
qu'une désignation nouvelle soit nécessaire pour définir notre
attitude religieuse, qui est simpleraent celle de chrétiens et de
catholiques vivant en harmonie avec l'esprit de leur temps.
; L.OO'^k'
6 tNTIlODDcnON
sèment notre pensée. Nous ne pouvons demeu-
rer impassibles sous les violentes attaques que
le chef suprême de l'Eglise, tout en reconnais-
sant en noui ses ûdèles soumis, décidés à lui
rester attachés jusqu'à notre dernier Boupir, a
cru devt^r diriger contre nous. Notre réponse
n'aura donc rien d'arrogant ; c'est un élémen-
taire principe de justice que l'accusé se défende.
Et nous ne pouvons croire que ce droit nous soit
refusé à un moment si critique pour l'avenir du
christianisme catholique ; d'autant plus que si
l'Encyclique, avec une âpreté inaccoutumée, a
prononcé contre nous une condamnation for-
melle, elle a voulu aussi, par une sorte de pro-
cédure dont nous lui sommes reconnaissants,
résumer à sa manière nos doctrines et faire
précéder la sentence d'une réfutation par trop
facile. C'est pourquoi nous avons lieu de croire
que l'arrêt rendu contre nous ne porte qu'autant
que la synthèse de nos pensées contenue dans
l'Encyclique est exacte et que les raisons invo-
quées pour nous frapper au nom de la tradition
sont valables. Nous avons ainsi non seulement
le droit, mais le devoir d'intervenir, de relever
le défi de controverse que l'Encyclique semble
nous adresser et de discuter les doctrines qui
nous sont reprochées. Fils dévoués de l'Eglise ;
soumis à l'autorité dans laquelle nous voyons se
prolonger le ministère pastoral des apôtres ;
comprenant l'harmonie qui doit régler dans
I, Google
INTIlObOCTiON 7
toute société religieuse les rapports entre le
pouvoir et la conscience individuelle ; partici-
pant à l'intense vie spirituelle qui circule dans
tous le ; membres de la société cqjtholique, corps
mystique du Christ, nous nous pli^Sentons, sans
présomption, mais avec le profond sentiment
des droits qui appartiennent à notfti^^sonna-
lité religieuse, devant la société à laquelle nous
appartenons, pour répondre à l'accusation lan-
cée avec tant de véhémence contre nous. Nous
ne mendions pas des excuses; encore moins
croyons-ndus pouvoir mendier un pardon. Nous
exposons simplement notre pensée que noua
soumettons au jugement de nos frères et nous
attendons aussi le jugement de l'histoire. A
l'heure où s'annoncent de si grandes révolutions
morales, tandis que le monde intellectuel, tou-
jours éloigné du Christ et de son Eglise, s'ache-
mine par des voies diverses vers une transfor-
mation encore indécise de sa psycholo^e, nous
nous proposons nettement le problème suivant :
l'Eglise catholique, ce grand organisme dans
lequel on a vu à l'œuvre l'esprit de l'Evangile,
obéit-elle à une force de conquête ou h un simple
instinct de conservation ;cache-t-elle encore dans
les plis de son admirable organisation de puis-
santes capacités de prosélytisme ou bien sa
vitalité est-elle menacée par des germes d'immi-
nente décomposition ; sa mission se borne-t-elle
désormais àdéfendreomhrageosementla foisim-
I Cot^^lc
6 INTDODDCTION
pliste et grossière de quelques derniers et rares
fidèles, ou bien tend-ella à reconquérir l'effica-
cité morale que de longues années d'inerte isole-
ment lui ont fait perdre P Nos âmes ont, depuis
longtemps, répondu à cette enquête décisive.
Penchés avec amour sur l'âme moderne pour en
étudier les aspirations, vibrants à l'unisson avec
elle d'un chaleureux enthousiasme pour son nou-
vel idéal de fraternité universelle, nous avons
cru découvrir dans ses tressaillements 1^ symp-
tômes d'une magnifique renaissance religieuse ;
la douce parole messianique est revenue sur nos
lèvres : « Voyez quelle riche moisson promettent
les champs dorés ; levez vos fronts, votre rédemp-
tion est proche ». Nous avons cherché à nous
rapprocher de notre siècle, en parlant sa langue,
en pénétrant dans sa pensée, afin que, par ce
contact, il pût sentir l'affinité qui existe entre
883 plus nobles tendances et les enseignements
du catholicisme. Nous ne pouvons croire que
l'Eglise persiste à repousser notre programme
comme funeste. Il se peut que nous nous soyons
trompés parfois dans nos tentatives de rappro-
chement et nous n'avons pas de plus vif désir
que de recevoir, s'il en est ainsi, une correction
paternelle, mais, pour Dieu ! qu'on ne jette pas
sur toute notre activité, qui nous a coûté tant
de sacrifices et d'abnégation, une condamna-
tion définitive et sans appel.
Si l'Eglise n'a pas perdu conscience de ses
D«,:^i i„ Google
INTRODUCTION 9
destinées catholiques, si l'écho de la parole pro-
phétique : « Il n'y aura qu'un seul troupeau et
uo seul pasteur » vibre encore au fond de son
âme, elle doit sortir de l'étroite enceinte du
sanctuaire solitaire, où le puissant courant de
vie collective, qui anime le monde du travail et
de ia pensée moderne, ne pénètre plus ; elle
doitrechercher le contact des hommes, se frayer
un chemin jusqu'à leura consciences, dissiper les
défiances que l'éloignement et les erreurs ont
accumulées contre elle. Il s'agit de ressusciter
le sentiment religieux déformé ; de découvrir
dans les couches les plus profondes de la vie
intérieure les étincelles cachées, mais non pas
éteintes, du vieil esprit chrétien ; de vivifier
l'idéal qui alimente l'activité du monde contem-
porain et qui est subtantiellement religieux,
par le sens de l'altruisme et la volonté du sacri-
fice que seul l'Evangile sait communiquer ; de
rassembler enfin les fragments dispersés de la
famille chrétienne dans une plus haute mani-
festation de cette espérance religieuse qui est
tout l'enseignement de Jésus. Mais l'Eglise et la
société ne peuvent se rencontrer sur la base de
la mentalité qui était celle du Concile de Trente
et elles ne sauraient se comprendre avec la
langue du Moyen-Age. Que de jours ont passé
depuis l'époque d'Innocent 111 1 Que d'événe-
ments se sont succédé depuis le règne de Paul I II I
Et la philosophie et la pensée religieuse, qui
: L.^K^il^lC
10 INTRODUCTION
évoluent avec le progrès général de l'esprit hu-
main, aont aujourd'hui dans une position bien
différente de celle qu'ont pu prévoir les moines
des Universités du XIIl^ siècle et les apolo-
gistes de ia contre-réforme. Qu'y a-t-il donc
d'étonnant à ce que les vieilles formules dogma-
tiques paraissent incompréhensibles à nos con-
temporains et que les traditionnelles préten-
tions théocratiques choquent aujourd'hui le
sens le plus élémentaire de responsabilité per-
sonnelle ? La conscience humaine collective,
ainsi que la conscience individuelle ne retrou-
vent jamais, au cours de leur histoire, deux
moments qui soient parfaitement semblables ;
de même que chaque impression et chaque cir-
constance extérieure laissent une trace dans
notre esprit et, en l'enrichissant, le transfor-
ment, de même aussi l'esprit social est lente-
ment transformé par la succession des événe-
ments : l'existence est mouvement. II va sans
dire, par conséquent, qu'il est impossible d'im-
poser à l'âme moderne, qui ressemble si peu à
l'âme du Moyen-Age, l'expérience religieuse
dans les formes qu'elle a revêtues autrefois.
L'Eglise ne peut pas et ne doit pas prétendre
que la Somme de Saint Thomas réponde aux
exigences de la pensée religieuse du XX^ siècle,
pas plus que la théologie informe, de l'époque
carlovingienne n'a suffi aux recherches univer-
sitaires du XIII* et que les théories de la
: L.^K^il^lC
INTnODDcnoN
littérature paulimenne n^)nt pu se passer d'être
revues et modifiées par les Pères platoniciens
du III* et du IV^ Elle n'a pas à craindre davan-
tage que la vénérable tradition religieuse, dont
elle a la garde jalouse, soit incapable de s'adap-
ter à la vie actuelle. Ce qui a été possible dans
le'passé, est possible aujourd'hui et le sera tou-
jours dans l'avenir, La religion chrétienne, qui
est le pur esprit d'attente du règne divin de la
Justice finalement triomphante, est susceptible
de revêtir toutes les formes qui naissent des pos-
tulats idéalistes. Ces postulats sont aujourd'hui
à la base des nouvelles positions prises par la
philosophie : l'Eglise peut donc accueillir oeUe-ci
dans son sein en toute sûreté de conscience et
la vivifier par les hautes aspirations qu'entre-
tient l'Evangile. Et cette œuvre de synthèse
que tant de nobles intelligences ont volontaire-
ment commencée, l'autorité ne doit pas la con-
damner à priori.
L'Encyclique nous reproche d'être des or-
gueilleux et des obstinés. Nous voudrions tirer
de nos âmes les accents les plus enflammés de
nos sentiments chrétiens pour dire à Pie X :
a Saint Père, avec toute la franchise qui convient
à des fils dévoués, nous pouvons vous assurer
que toute orgueilleuse préoccupation de gloire
est étrangère à notre travail. Nous avons tra-
versé de longues heures d'angoisses, lorsqu'au
sortir de nos séminaires ou de nos écoles catho-
: L.OO^k-
lîlTRODUCnoN
Uques, les esprits remplis des enseignements
scolastiques, et à mesure que nous nous fami-
liarisions avec la culture des temps modernes,
nous avons senti chanceler les théories que Ton
nous avait inculquées comme fondement in-
dispensable de la foi catholique. Par la prière,
par l'étude, nous avons imploré la lumière d'En
Haut. Cette lumière s'est faite dans notre âme.
Les prétendues bases de la foi nous ont paru
irréparablement caduques ; mais la foi elle-
même, tout le riche patrimoine de l'expérience
rebgieuse catholique, nous l'avons senti palpi-
ter plus vivante en nous et nous avons vu
clairement qu'elle peut se concilier avec les
meilleures exigences de l'âme contemporaine.
Et nous nous sommes mis à répandre autour de
nous cette nouvelle expérience du catholicisme ;
nous avons entrevu lapossibihté de succès qu'elle
renferme. Ne nous repoussez pas, Saint Père ;
nos efforts peuvent n'être pas exempts d'erreur,
mais notre programme est vital et il est pour
l'Eglise l'unique moyen de salut. »
Tel est le langage que nous tenons à l'auto-
rité qui incarne en elle le nécessaire magistère
de l'Eglise. Serons- nous pour cela jugés rebelles ?
Il se peut.
Par une série de circonstances que nous
n'avons pas à analyser ici, les catholiques ont
perdu tout sens élémentaire de responsabilité
et de dignité personnelle.
D«,:^i i„ Google
INTRODttunON 13
Ls actes de l'autorité suprême, au lieu de
trouver l'acquiescement d'une déférence rai-
sonnable et par conséquent intelligente, ne ren-
contrent plus que l'inconsciente abdication des
irresponsables. Et un tel état de choses a les
plus tristes conséquences pour l'exercice du
pouvoir lui-même qui perd la claire notion de
sa véritable fonction et des limites qui lui sont
tracées et se transforme ainsi en un absolutisme
incompatible avec le juste gouvernement reli-
gieux voulu par le Christ « en qui, d'esclaves
que nous étions, nous sommes devenus libres. «
Quel que doive être, par conséquent, au pre-
mier moment le jugement porté sur notre dé-
marche, nous croyons travailler pour le plus
grand bien de l'Eglise en rompant avec cette
funeste chaîne d'abus et en discutant humble-
ment, mais énergiquement, nos positions que
l'autorité souveraine condamne, parce qu'elle
les connaît mal. En agissant ainsi, d'ailleurs,
nous ne faisons que suivre l'exemple de ces
grands fils de l'Eglise qui n'ont pas craint, aux
heures de crise, d'apporter à l'autorité l'appui
loyal de leurs avertissements et même de leurs
respectueuses remontrances. Et, pour que Ton
ne nous croie point sur notre simple affirmation,
nous citerons ici quelques-unes des fortes paro-
les qu'un grand saint irlandais, Colomban, le
fondateur du monastère de Luxeuil, adressait
à un pape, Boniface lY. Au commencement du
: L.^K^il^W
Vn« siècle, l'Italie était en proie à une vérita-
ble anarchie religieuse. La question dite des
« Trois Chapitres » divisait le clergé et les fidèles
en de nombreux partis rivaux et les uns et les
autres, absorbés dans ces discussions intestines,
négligeaient la conversion des Ariens, si nom-
breux parmi les Lombards. La Papauté elle-
même, expiant la faiblesse de Vigile, n'osait
pas intervenir dans ces discussions et faire en-
tendre une parole autorisée de conciliation. De
méchants bruits couraient sur l'orthodoxie de
Boniface IV et celui-ci ne trouvait pas un seul
mot de protestation contre la calomnie. Il fallait
secouer la torpeur de Rome et suggérer au Pon-
tife les mesures à prendre pour rétablir la paix.
Golomban, de son monastère de Luxeuil, lui
écrivit hardiment : {Ep. V, M. P. L. 80).
« La cause de Dieu est en péril ; je ne redou-
terai point les langues des hommes. Quand la
nécessité presse, il faut vaincre la timidité et
surmonter la paresse. Pour vous, Saint Père,
accueillez les propositions d'un cœur qui vous
aime et d'une âme loyale. Tout ce que je vous
dirai d'utile et d'orthodoxe tournera à votre
honneur ; la doctrine des disciples n'est-elle pas
toute à la gloire du maître ? Mais s'il m'arri-
vait de laisser échapper des paroles intempesti-
ves, attribuez-les à mon peu de discrétion et non
pas à mon oi^ueil. Veillez, ô Père, car la mer
est en furie. Veillez, car l'eau est déjà dans la
: L.OO^k-
INTRODUCTION 15
barque et la barque est en danger... C'est votre
faute, si vous avex fait fausse route. Vos fils
ont raison de vous résister ; ils ont raison de ne
plus communiquer avec vous, jusqu'à ce que le
souvenir des impies soit elTsoé, condamné à
l'oubli. Si ce que l'on rapporte est vrai, vos fils
se trouvent à la tête et vous à la queue, et c'est
pour moi une grande douleur de devoir vous le
dire. Ceux qui sont toujours restés fidèles à la
foi seront donc vos juges, même s'ils sont vos
enfants. Eh bien, comme l'élévation de votre
charge suprême rend plus éminente votre dignité
il est hors de doute que vous devez employer
tous vos soins à éviter qu'aucune tache vienne
compromettre votre autorité. Cette autorité,
vous la conserverez, tant que votre conscience
demeurera droite. Celui-là est le fidèle portier
du royaume des cîeux qui, d'après la vraie doc-
trine, ouvre à ceux qui sont dignes et repousse
ceux qui ne le sont point. Bien que personne
n'ignore de quelle manière le Christ a conûé les
clefs à Saint Pierre, ce qui vous fait revendiquer
sur les autres je ne sais quel orgueilleux privi-
lège d'autorité dans les choses divines, souve-
nez-vous que votre pouvoir diminuera devant
Dieu, si vous oubliez les devoirs qui l'accompa-
gnent. »
C'est ainsi que les âmes des Saints se dres-
saient en face de la papauté. En suivant de tels
exemples, que nous pourrions aisément muiti-
: L.OO^k-
16 INTRODDCTION
plier, et tout en reconnaissant combien nous
sommes petits auprès de ces grandes âmes, nous
voulons dire à Pie X : a Père, écoutez-nous ;
nous vous offrons un moyen, dont l'efficacité
s'est déjà révélée, de reconquérir dans le monde
la force spirituelle que l'Eglise a malheureuse-
ment perdue. Avant de nous repousser, avant
de vous renfermer, d'un geste solennel, dans les
souvenirs de la théocratie politique et inteUec-
tuelle du Moyen-Age, songez à la responsabilité
que vous avez devant Dieu, devant la société,
devant l'histoire et réfléchissez bien si, en pre-
nant cette attitude de retour au passé, vous ne
condamnez pas à une déchéance certaine l'ins-
titution que vous gouvernez aujourd'hui. »
D«,:^i i„ Google
LE PROGRAMME DES MODEIISTES
l« PARTIE
LA CRITIQUE MODERNISTE
CHAPITHE I"
Le point de départ du modernisme est la
critique, et non pas la philosophie.
Il est nécessaire, avant tout, de dissiper l'équi-
voque dans laquelle la lecture de l'Encyclique
peut faire tomber les profanes. Le document
pontifical part de cette supposition qu'il y a, à
la racine du modernisme, un système philoso-
phique d'où découleraient les méthodes direc-
trices de notre critique biblique et historique et
qu'ainsi nos efforts pour réconcilier la tradition
doctrinale du catholicisme avec les conclusions
des sciences positives proviennent, en réalité,
de quelques théories aprioriques que nous dé-
fendons par suite de notre ignorance de la sco-
D«,:^i i„ Google
18 LE FROOttAUUK DES MODERNUTEg
lastique et de Torgueilleuse révolte de notre rai-
son. Cette assertion de l'Encyclique est fausse,
et, puisque la disposition des divers ai^uments
dans l'acte pontiiical en dépend, nous ne pou-
vons suivre l'ordre de ceux-ci dans notre réponse
mais nous devons, avant toutes choses, démon-
trer l'inanité de l'accusation et, par conséquent,
discuter les théories que l'Encyclique nous attri-
bue.
En réalité, la méthode historique, les procé-
dés, le programme du modernisme sont bien
différents de la description qu'en ont faite
les rédacteurs de l'Encyclique.
Bien loin que la philosophie domine notre
critique, c'est au contraire la critique qui nous
a amenés à formuler spontanément, quoique
d'une manière encore timide et incertaine, quel-
ques conclusions philosophiques, ou, plus exacte-
ment, à préciser certaines attitudes intellectuelles
qui, du reste, n'ont jamais été ignorées de l'apo-
logétique catholique. L'indépendance de notre
critique, en taee de notre philosophie, qui est
encore si indécise, tient à plusieurs raisons.
Tout d'abord, par sa nature même, la critique
d(s textes, de même que la prétendue « haute
critique n, c'est-à-dire l'analyse intrinsèque des
documents bibliques dans le but d'en établir
la valeur et l'origine, exclut complètement tout
préjugé philosophique.Un exemple, entre autres,
le démontrera de la façon la plus évidente ; nous
D«,:^il,,Gl.lO'^li:
Le PROaRAHHfe DBB HODERNIBTEB 19
voulons parler de celui que nous fournît la ques-
tion du <i verset johannique », aujourd'hui défi-
nitivement résolue. Quand les théologiens vou-
laient prouver autrefois le dogme de la Trinité,
ils ne manquaient jamais de citer ce texte de la
Vulgate qui se trouve dans la première épître
de Saint Jean (vers. 7), : « Il y en a trois qui
rendent témoignage dans les cieax : le Père, le
Fils et le Saint Esprit ». — Or, les mots en ita-
lique manquent dans tout manuscrit grec actuel-
lement connu, oncial ou cursif, dans tous les
épistolaircs et tous les lectionnaires grecs, dans
toutes les anciennes versions, exception faite de
la Vulgate, dans les écrits des Pères grecs et
autres auteurs grecs antérieurs au Xll^ siècle,
dans ceux des anciens écrivains syriens et armé-
niens, ainsi que chez plusieurs Pères de l'Eglise
latine. Ce silence, tant en Orient qu'en Occi-
dent, est d'autant plus remarquable que le pas-
sage en question aurait pu fournir un témoi-
gnage d'une valeur incalculable dans la contro-
verse arienne. S'il n'a pas été cité en cette
circonstance, cela veut dire tout simplement
qu'au commencement du quatrième siècle, il
n'existait pas. Mais ce n'est pas tout : la colla-
tion des manuscrits, la confrontation faite avec
les œuvres de l'hérétique Priscillien, retrouvées
il y a quelques années, ont établi que le verset
vient d'Espagne, qu'il a été intercalé par cet
hérétique (384) comme argument en faveur de
D,<,,r,:^i 1„ Google
Su LE PHOGR&HHE DBS MODERNISTES
ses propres doctrines trinitaires et que le propa-
gateur en a été Per^rinus. Or donc, pour tirer
toutes ces conclusions, pour étudier au point de
vue critique un problème de ce genre, qui ne
voit qu'il n'est besoin d'aucune doctrine philo-
sophique spéciale et que cela ne suppose aucun
préjugé? Il faut en dire autant d'une foule d'au-
tres problèmes bibliques et historiques dont la
solution impartiale, aboutissant à des résultats
différents de ceux que défend la critique catho-
lique traditionnelle, est la véritable cause de la
nouvelle position d'apologétique religieuse à
laquelle nous avons été fatalement conduits.
Est-il donc nécessaire d'avoir une préparation
philosophique particulière pour relever dans le
Pentateuque la multiplicité des sources, ou pour
se convaincre, par un examen même superficiel
des textes, que le IV* évangile est en substance
un travail dont la composition diflère beaucoup
de celle des synoptiques, ou encore que le sym-
bole de Nicée représente un développement
essentiel du symbole des Apôtres ?
Mais, en dehors de cette raison intrinsèque,
nous pouvons invoquer, en faveur de l'indépen-
dance de notre critique vis à vis de notre philo-
sophie, des arguments extrinsèques de fait qui
nous paraissent indiscutables. Et d'abord, la
critique religieuse est de beaucoup plus ancienne
que la philosophie que l'on nous attribue.
On ne parlait pas, il est vrai, d'agnosticisme
D«,:^il,,G00^^lc
tE PROORAUME DES UOCERMSTBS 2l
et d'immanentisme quand Richard Simon pu-
bLait, entre 1670 et 1690, ces admirables His-
toires critiques de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament qui représentaient réellement la pre-
mière application sérieuse des méthodes scien-
tiBques à l'étude des documents formant le
recueil écrit de la révélation catholique. Le pre-
mier de ces ouvrages en particulier est à la fois
une magnifique reconstruction scientifique de
l'histoire littéraire des Israélites fondée sur un
minutieux examen de l'état des textes qui sont
entrés dans la compilation biblique, et un admi-
rable essai de classification critique des versions
do texte hébreu et des variétés d'exégèse aux
différente époques.
Il n'était pas davantage question de symbo-
lisme et de transfiguration de l'histoire, lors-
que le docteur Jean Astruc, dans l'œuvre ano-
nyme : « Conjectures sur les mémoires originaux
dont il parait que Moïse s'est servi pour compo-
ser le livre de la Genèse », publiée à Bruxelles
en 1753, cherchait pour la première fois à systé-
matiser la théorie des sources plus anciennes
utilisées au moins dans une partie du Penta-
teuque.
Depuis l'époque de ces illustres savants, la
critique, sans la moindre préoccupation philo-
sophique, a appliqué à la Bible et à l'histoire
du christianisme ces principes scientifiques, qui
ne sont susceptibles d'aucune atténuation ou
: L.oo^k-
H LK PR006AMII& DE8 HODBQKISTES
déformation, parce que ce sont simplement lea
principes de la science historique, telle qu'elle
est. Ce n'est vraiment pas notre faute si, venus
après des siècles d'études critiques, nous trou-
vons déjà renversées ces positions que prenait
la théologie traditionnelle sans discuter les
textes et sans vérifier leur valeur documentaire;
nous avouB bien mérité au contraire, nous sem-
ble-t-il, de l'apologétique catholique, si nous
cherchons loyalement à transporter l'édifice de
la foi des bases fragiles d'une exégèse manifeste-
ment anticritique, sur les fondements solides,
parce qu'inattaquables, qu'offrent les exigences
profondes de l'esprit humain et les nécessités
vitales d'où est sortie l'histoire du christianisme.
Mais il y a plus. L'indépendance, voire même
la priorité de la critique vis-à-vis de la philoso-
phie dans notre mouvement intellectuel, peut
être constatée d'une manière très sensible chez
plus d'un de nos hommes d'étude. Ce sont les
longues recherches critiques à propos de l'An-
cien comme du Nouveau Testament qui ont
amené l'abbé Loisy, dont les premiers ouvrages
avaient un caractère exclusivement critique,
à écrire, en 1900 et 1901, ces magnifiques études
sur la Révélation et sur la Religion d'Israël, qui
marquent le début de son activité apologétique.
Ce sont de longues études documentaires sur
les récits évangéliques qui ont conduit plusieurs
d'entre noua à réviser la croyance traditionnelle
i:™,i,.-m,,GoOi^lc
LE PROGttAUMK DES MODERNISTES 83
sur la fondation de l'Eglise et sur rijostitution
des sacrements.
Ce sont enfin de longues années de patiente
étude comparative des diverses époques mar-
quant l'évolution de la pensée catholique qui
nous ont pour ainsi dire inconsciemment pous-
sés à adopter une nouvelle théorie de l'origine
de la dogmatique depuis les enseignements du
Christ, préférant reconnaître l'œuvre latente
et ininterrompue d'un divin esprit révélateur,
plutôt que de contredire la réalité des faits en
admettant une révélation soudaine et complète
des vérités du Credo qui n'a jamais eu lieu.
Cela est si vrai, que l'on n'a pas de peine à
trouver parmi nous des savants qui, réfractaires
par tempérament à toute préoccupation synthé-
tique, dédaigneux de toute tentative de conci-
liation apologétique, font profession de criti-
cisme pur et négligent, s'ils ne les combattent
' pas, ces nouvelles hypothèses générales que
nous énonçons timidement pour réconcilier la
foi qui décline avec la science critique qui se
renouvelle.
Ce que nous avons dit nous semble suffisant
pour montrer que c'est seulement un adroit
expédient de polémique et non point une recon-
naissance impartiale des faits qui a pu induire
les rédacteurs de l'Encyclique à frapper dans
notre mouvement certaines idées philosophiques
représentant tout au plus les conclusions de
I Google
24 ht phoeiUHUB des uodiriiistis
longa efforts critiques, mais ne constituant en
aucune façon la clef de voâte de notre édifice
scientifique ni la cause déterminante de nos
recherches.
Nous ne pouvons donc pas, encore moins
voulons-nous suivre l'Encyclique sur un terrain
aussi peu soUde et si plein d'embûches. C'était
assurément un procédé commode que de repré-
senter au public notre mouvement comme repo-
sant sur quelques principes abstraits — com-
bien déformés, nous le verrons plus loin — dont
la forme paradoxale à dessein les fait paraître
incompatibles avec les positions théologiques
fondamentales du cathohcisme. Mais ce serait
trop najf de notre part de laisser s'étabUr sans
protestation une pareille équivoque. Nous de-
vons, au contraire, revendiquer avant tout le
point de vue critique comme étant de fait la
base de toute notre pensée ; nous devons mon-
trer que si le modernisme n'est pas un simple
nom à signification ambiguë, c'est une méthode
ou, pour mieux dire, c'est la méthode critique,
appliquée comme il conrient, à l'étude des for-
mes reli^euses de l'humanité en général et du
catholicisme en particulier. Et si cette applica-
tion loyale entraîne une révision complète des
bases positives sur lesquelles s'édifie l'interpré-
tation scolastique du catholicisme et fait naître,
par conséquent le désir d'une nouvelle apologie
de la foi religieuse, cela ne doit pas du tout être
D«,:^i i„ Google
LE PROGRAMME DES HODEHNISTES 25
attribué à un caprice naturel de notre raison,
superbement dédaigneuse de la scolastique dont,
au contraire, nous connaissons parfaitement les
principes et apprécions les fonctions historiques,
mais bien à une évidente exigence du sentiment
religieux qui cherche sans cesse, dans de nou-
velles formes de pensée, à conserver son effica-
cité parmi les hommes. Elaborée en un temps
où le sens historique faisait complètement dé-
faut et où l'on n'avait pas la moindre notion de
ce qu'avait été l'évolution de l'idée chrétienne,
la scolastique du Moyen-Age, c'est-à-dire la
fusion de la pensée aristotélicienne avec l'ensei-
gnement catholique, tel qu'il s'était formé dans
la période qui s'étend jusqu'au XII^ siècle,
devait inévitablement perdre sa valeur primitive
le jour où sa conception d'une révélation méca-
nique, pétrifiée en quelque sorte au moment
même où elle a été achevée, se vit privée de la
base des témoignages bibliques et patristiques,
recueillis sans le moindre discernement critique.
Si l'on ajoute à cela le travail de révision auquel
le réalisme logique d'Aristote a été soumis dans
la tradition philosophique plus récente, on com-
prendra aisément la crise profane dans laquelle
devait tomber la doctrine scolastique du catho-
licisme. Le modernisme est né et il a grandi
comme une tentative de résoudre cette crise
douloureuse et il se maintiendra sous ce nom-
jusqu'au moment où, après avoir soutenu et
, Goo^k-
26 U PHOGUMMB DES MODKRNIBTES
répandu par les eftorU de son abnégation pei^
sévérante la nouvelle inteqirétation du catho-
licisme, il se confondra définitivement avec lui.
Nous avons donc les plus justes raisons de
nous refusera suivre pas à pas l'Encyclique dans
la fausse description qu'elle a fait du moder-
niste comme philosophe, croyant, théologien,
critique, apoI<^ste, réformiste, en opposant à
chacune des parties de cette exposition la con-
fession sincère de nos modestes intentions et de
nos véritables idées. La prétention d'offrir la
synthèse du modernisme nous a paru très sin-
gulière, puisque nous sommes les premiers à
déclarer hautement et fortement que nous
n'avons encore aucune synthèse définitive, mais
que nous nous acheminons péniblement, et non
sans trébucher parfois, des résultats désormais
acquis de la critique à une apologie qui tend
simplement, non pas à détruire la tradition,
mais bien à utiliser les anciens postulats reli-
gieux inséparables de la plus authentique con-
ception du catholicisme.
Nous exposerons donc, dans un résumé rapide,
les résultats de la critique biblique et histori-
que ; nous montrerons qu'ils entraînent la néces-
sité de changer la conception de l'inspiration,
de la révélation et de distinguer, pour ce qui
regarde le Nouveau Testament, entre l'histoire
réelle et l'histoire interne, entre le Christ histo-
rique et le Christ mystique ou de la foi ; nous
I, Google
LE PROORAHHB DES MODERNISTES 27
parlerons aussi du fait indiscutable que la tra-
dition catholique, c'est-à-dire la transmission
vivante de l'esprit religieux qui jaillit de l'Evan-
gile, a subi de profondes révolutions, en ce qui
concerne aon expression théorique, à mesure
qu'elle a passé de la prédication messianique du
Christ aux Pères hellénistes du 11^ siècle, aux
controversistes antignostiques, aux définitions
des premiers conciles œcuméniques, aux doc-
teurs du Moyen-Age, à la systématisation sco-
lastique, aux formules du Concile de Trente, et
nous ajouterons ensuite comment la constata-
tion loyale de cette évolution nous a amenés,
pour maintenir notre foi, à la conception d'une
permanence du divin dans la vie de l'Eglise,
pour laquelle toute nouvelle formule doctrinale
et toute nouvelle institution juridique, en tant
qu'elles tendent plus ou moins consciemment
à la conservation de l'esprit religieux de l'Evan-
gile, ont en elles-mêmes des raisons justificatives
de s'établir et de durer.
Personne ne peut contester les résultats de la
science historique ; nous prenons donc hardi-
ment le parti de nous en accommoder. La cri-
tique moderne a renouvelé les horizons de l'his-
toire ; elle constitue un instrument délicat et
compliqué dont nous nous promettons d'user
simplement pour évoquer, sans fiction ni chi-
mère les faits enfouis dans les ténèbres du passé.
Nous obéissons à une logique élémentaire en
i,Gooi^lc
28 LE PROORAHME DBS HOKERNUTIS
appliquant cette méthode aux traditions et aux
documents religieux. En outre, nous sommes,
ce faisant, fidèles à un principe théologique or-
thodoxe, d'après lequel, parmi les lieux thèolo-
giques, c'est-à-dire parmi les sources dont on
tirait les enseignements de la foi, l'Ecriture
occupe la première place et doit, par conséquent,
être étudiée avec la plus sérieuse attention, afin
que les démonstratjons basées sur elle ne repo-
sent point sur le sable.
Il ne peut exister de conflit entre la foi et la
raison ; c'est ce qu'affirme Saint Thomas (C. G.
I. 7). Nous devons donc appliquer sans crainte
notre critique à l'étude de la religion, persuadés
que si quelque élément de notre dogmatique doit
tomber sous ses coups, c'est qu'il ne faisait cer-
tainement pas peirtie de la substance de la foi
religieuse.
Passant ensuite à la discussion des principes
philosophiques que l'Encyclique nous repro-
che, nous montrerons que quelques-unes de ses
allégations sont fausses et que d'autres, vraies
dans une certaine mesure, n'ont rien de contraire
à la véritable tradition catholique qui, il ne
faut point l'oublier, n'est pas circonscrite par la
Somme de Saint Thomas et encore moins par le
Concile de Trente. Le Christianisme a eu, avant
l'une et l'autre de ces étapes, une longue his-
toire, et rien ne s'oppose à ce que nous revenions
à une interprétation du catholicisme qui leur
D«,:^i i„ Google
LB PROGRAMMA DBS MODERNISTES 29
soit antérieure à toutes deux, si les besoins reli-
gieux qui ont provoqué cette interprétation ont
quelque affinité avec les besoins religieux de
l'âme moderne.
D«,:^il,,G00^k'
La critique littéraire de l'Ancien Testament.
L'Encyclique représente donc comme une
habile tactique des modernistes leur volonté de
■ ne point se donner comme philosophes en écri-
vant l'histoire, tandis que leur histoire ou leur
critique ne s'exprime que dans la langue de la
philosophie. Et de fait, le système de critique
historique qu'elle construit est un système
extrêmement aprioristique, dans lequel les faits
se déduisent de quelques principes que l'on
considère comme l'essence même de la philoso-
phie moderniste. Mais il faudrait démontrer que
telle est bien la méthode adoptée et pratiquée
par les modernistes. L'Encyclique ne se tait nul
scrupule d'omettre cette démonstration, affir-
mant que a pour qui réfléchit, la chose est aussi-
tôt évidente » ; c'est comme si nous disions que
ce que nous pensons doit être de suite connu
des autres par voie de réflexion. Pas un mot
des résultats auxquels est arrivée la critique
historique et des chemins par lesquels elle y est
parvenue. Et pourtant c'est là la base de la
question et c'est par là que l'on aurait dû com-
mencer. Nous chercherons donc à faire ici briè-
D«,:^i i„ Google
U PROORAUMB DIS UODRHNISTBS 31
vement ce que l'on a cru pouvoir se passer de
faire.
L'opinion commune traditionnelle est que
nous possédons dans la Bible une histoire abso-
lument complète de la révélation tant de l'An-
cien que du Nouveau Testament, dont la vérité
nous est garantie dans chacune de ses parties,
et par l'autorité de Dieu qui, ayant lui-même
inspiré la Bible, en est par conséquent l'histo-
rien principal, et par l'autorité des écrivains
secondaires qui ont été les témoins immédiats
ou tout à fait rapprochés des faits qu'ils racon-
tent, comme Moïse et Josué pour l'Ancien Tes-
tament, Mathieu, Jean, Marc et Luc pour le
Nouveau. A cela, il n'y a qu'un malheur, c'est
que cette conception a été ébranlée dans sa base
parla critique littéraire appliquée aux livres his-
toriques de l'un et l'autre Testament.
C'est par le Pentateuque, communément attri-
bué à Moise, que l'on a commencé. A partir du
XVI* siècle, les divers critiques ont fait une
série d'observations particulières tendant à
démontrer que le Pentateuque, du moins en
bloc, ne pouvait pas être l'œuvre de Moïse, ni
dater du temps de Moise. On a remarqué aussi
que, dans le livre lui-même, il n'y a rien qui
fasse supposer que Moise en soit l'auteur, à
l'exception de quelques paroles qui, comme le
Deutéronome, sont expressément indiquées com-
me ayant été écrites par lui.
D«,:^i i„ Google
àS LB PROGRAMME DES MODERNISTES
Mais la pleine solution du problème, non seu-
lement négative, mais positive aussi, était réser-
vée au XIXe siècle, qui a vu paraître toute une
pléiade d'illustres critiques, qu'une analyse mi-
nutieuse, poursuivie d'un bout à l'autre du
Pentateuque, après des preuves nombreuses et
de non moins nombreuses hypothèses, a con-
duits finalement à des résultats concordants et
précis. Leurs innombrables observations peu-
vent être ramenées à ces points principaux :
1" On rencontre partout, dans le Pentateuque,
des doubles emplois, c'est-à-dire des récits qui
rapportent le même fait, ou des lois qui visent
le même cas. 2° Malgré la ressemblance du
contenu, ces passages doubles diffèrent nota-
blement entre eux par la forme, c'est-à-dire
tant par le style que par la langue, l'emploi
constant de certains mots, de certains tours
de phrase et constructions. 30 Mais ils diffè-
rent aussi en partie par la matière eile-même,
puisque dans les narrations le même fait pré-
sente souvent des circonstances diverses qui
s'excluent réciproquement ou se succèdent dans
un ordre inverse, et dans les lois concernant un
même objet, on trouve des ordres contradictoi-
res, souvent relativement aux détails, mais par-
fois même à la substance. 4° Ce n'est pas seu-
lement au point de vue historique que l'on peut
noter des diiTérences, mais encore — et cela est
capital — au point de vue religieux, soit dans la
i:™,i,.-M I , Google
LE rnoaRAMHB DK8 HDDBRNISTBS 33
manière de concevoir Dieu et ses attributs, soit
dans ridée des relations entre Dieu et l'homme.
De ces constatations de fait, il fallait néces-
sairement déduire que les passages doubles du
Pentateuqua ne peuvent provenir d'un même
auteur et qu'ils supposent au contraire divers
rédacteurs, et cela aussi bien à cause de leurs
ressemblances, car il n'est pas probable qu'un
écrivain se répète fréquemment lui-même, qu'à
cause de leurs divei^ences, car il est moins pos-
sible encore qu'un auteur se contredise ouver-
tement à si peu de distance.
Mais la critique ne s'est pas contentée de ce
résultat négatif ; elle a voulu rechercher aussi
la nature et le mode de composition du Penta-
teuque. D'abord, on avait cru que les doubles
passages étaient des morceaux détachés, re-
cueillis on ne sait comment, en sorte que le
Pentateuque n'eût été qu'une collection de frag-
ments. Mais plus tard, une étude plus appro-
fondie a démontré que de nombreux passages
qui avec les uns sont évidemment hétérogènes
par nature et ont par conséquent une autre
origine, présentent au contraire avec d'autres
une homogénéité frappante, et ainsi on a pu
former deux ou plusieurs séries de fragments
parallèles, dont chacun se distingue par un
caractère spécial, linguistique, historique, juri-
dique et religieux. Ce n'est pas tout ; on a
remarqué que chaque série présente une suite
i,Coo^k'
31 ut PR06RAUMB DB9 yODKRNISTtS
bien ordonnée et même complète. Tout cela a
confirmé les premiers résultats relatifs à l'ori-
gine diverse des passt^es en question, mais en
même temps cela a fourni une base pour con-
clure ultérieurement que le Pentateuque est
composé de documents ayant une origine dis-
tincte et étroitement combinés ensemble par un
ou plusieurs rédacteurs, qui, naturellement, ont
dû assujettir les documents à des coupures, des
additions et des modifications selon que le
réclamait l'unité de l'œuvre ou le but qu'ils
poursuivaient.
Les documents qui constituent le Pentateuque
sans tenir compte de quelques courts fragments
et des additions rédactionnelles, sont au nom-
bre de quatre ; 1*^ celui que l'on a qualifié d'abord
de premier Elobiste, parce qu'il appelle Dieu
Elohim jusqu'à la théophanie mosaïque, et, à
partir de ce moment, lahve, nom révélé par
Dieu lui-même à Moïse. Mais actuellement, ce
document est désigné soua le nom de Code
sacerdotal, parce que, outre le résumé histori-
que qui va du commencement du monde à la
mort de Moïse, il contient la législation relative
principalement au culte et au sacerdoce. 2" Le
second Elohiste, appelé maintenant Elokisle
tout court, parce qu'il emploie de préférence le
nom d'Elohim, même après la révélation mosaï-
que. Son contenu, qui va de la vocation d'Abra-
ham à la mort de Moïse, est principalement his-
,:,.„„.-., ..,Got>gL-
Le PltOGtlAllllB DEa UObfeRNlSTBS 3S
torique, mais il renferme également quelques
parties légales, et notamment celle qui se
nomme dans l'Exode le Livre de l'Alliance, code
surtout moral et religieux. 3^ Le Iakviste, qui
adopte le nom de lahve dès le commencement
et qui s'occupe presque exclusivement d'histoire
à partir de la création. 4*' Le Deutéronomiste,
ainsi appelé parce qu'il constitue presque en
entier le Deutéronome ; de même que le Code
sacerdotal, c'est un livre principalement légal,
se servant de l'histoire seulement comme d'un
moyen pour inculquer l'obéissance à la loi, his-
toire et loi mises dans la bouche de Moïse peu
de temps avant sa mort dans les plaines de
Moab.
Il résulte de ce que nous venons de dire cette
conséquence que les quatre documents compo-
sant le Pentateuque, non seulement ne peuvent
être l'œuvre d'un seul et même auteur, mais ne
sauraient pas davantage dater d'une même épo-
que, car les conceptions religieuses diverses, et
par-dessus tout les dispositions légales contrai-
res supposent des difFérences de temps : Distin-
gue tempora et conciliabis jura..
Au début on a vu que les documents s'étaient
succédé dans l'ordre même où nous les avons
énumérés ci-dessus, en sorte que le premier
Elohiste, ou Code sacerdotal, serait le plus
ancien de tous. Mais ensuite une critique plus
minutieuse a démontré le contraire. Une con-
D«,:^il,,G00^k'
36 LE PhOORAMUS btS MODKRNUTBS
frontation attentive avec les autres livres de
l'Ancien Testament, tant historiques que pro-
phétiques, a fait voir que la lé^slation du Code
sacerdotal, dans ses points les plus saillants,
était inconnue en Israël avant la captivité de
Babylone, et que c'est seulement après cette
époque qu'elle entra en vigueur. Il fallait néces-
sairement conclure que le document lui-même
contenant cette législation était postérieur et
non pas antérieur à la captivité, et puisque nous
lisons qu'Esdras donna à la nouvelle société
religieuse à Jérusalem une loi qu'il avait rap-
portée de Babylone, il était naturel de suppo-
ser que celle-ci était précisément le Code sacer-
dotal. On a pu déterminer assez exactement
aussi la date du Deuteronomiste ; comme il a
pour but d'inculquer la loi de l'unique sanctuaire
en Israël, loi inconnue de l'antiquité, il a été
raisonnablement identifié, ainsi que l'ont fait
d'ailleurs Saint Jérôme et d'autres anciens au-
teurs ecclésiastiques, avec le Livre de la Loi,
trouvé sous Josias et composé par conséquent
peu de temps auparavant, d'après lequel le saint
roi voulut que le temple de Salomon à Jérusa-
lem, après la destruction de tous les autres tem-
ples de Palestine, demeurât l'unique sanctuaire
légitime des Juifs. Le second Elohiste et le
lahveiste remontent à une époque encore plus
reculée, puisqu'ils renferment une législation
sacrée que nous trouvons en vigueur en Israël
D«,:^i i„ Google
LS fROORAHUE DES UODERNISTSS 3l
dès les temps les plus éloignés ou tout au moins
avant la réforme de Josias.
Les conclusions au sujet de l'origine des di-
vers documents ont reçu une évidente confirma-
tion par la comparaison faite avec les écrits
prophétiques, puisqu'il a été constaté que les
documents Elohiste et lahviste présentent de
nombreuses reasemblances de langue et de pen-
sée avec les prophètes les plus anciens, comme
Amos et Osée, tandis que le Deutéronomiste en
offre d'analogues avec Jérémie qui vécut au
temps de la réforme de Josias, et le Code sacer-
dotal avec Ezéchiel, qui entre tous les prophè-
tes fut celui qui s'intéressa le plus au culte
après la destruction de Jérusalem par les Chal-
déens.
En appliquant les mêmes procédés critiques
aux autr^ livres historiques de l'Ancien Testa-
ment, on a vu aussi que ce ne sont pas des ou-
vrages de premier jet, mais des compilations.
Pour le livre de Josué on a constaté que les
documents qui le composent sont la suite de
ceux qui composent le Pentateuque, raison de
plus pour affirmer qu'aucun d'eux ne peut avoir
été écrit par Moïse. Quant aux livres des Juges
et des Rois, si leurs sources ne proviennent pas
des mêmes auteurs que le Pentateuque, ils
émanent du moins des mêmes écoles d'écrivains
et ils ont subi des rédactions identiques. Le
livre des Paralipomènes, quoique plus récent et
i,Coo^k'
3S LE PROORAUIIE DU MODUINISTKB
composé de deux documents moins anciens,
n'est pas de moindre importance pour nous,
puisqu'en se servant entre autres du livre des
Rois il montre par là à l'évidence que le système
de composition des livres historiques chez les
Hébreux étîiit bien tel que la critique le décrit.
Toute cette construction critique n'est point
la découverte des modernistes, mais de savants
éminents appartenant à divers pays et confes-
sions religieuses. A moins que l'on ne veuille
prétendre, comme l'Encyclique l'aflirme des cri-
tiques cathohques, qu'ils forment une société
internationale de fanfarons et d'imposteura,
leur jugement qui concorde ne peut pas être
sans valeur, même pour ceux qui ignorent l'art
difltcile de la critique. Mais, dit-on, ce sont des
rationalistes ? Et qu'est-ce que cela prouve ?
Leurs recherches sont fondées, non pas sur leur
rationalisme, mais sur leurs raisonnements, leur
vaste savoir et surtout sur la scrupuleuse obser-
vation des textes et des faits. Du reste, il n'en
manque pas parmi eux qui, comme nous, res-
pectent l'autorité divine de la Bible et recon-
naissent le Christ notre Sauveur,
Même parmi les catholiques, tous ceux qui
ont consacré leur vie et leurs forces à des études
aussi vastes et aussi difliciles ont dû se convain-
cre, souvent bien malgré eux, de la légitimité de
la critique biblique. 11 est vrai que la commis-
sion pontificale « De re biblica », par sa célèbre
tK PROORAMHB DBS MODERNISTES 39
réponse du 27 juin 1906 a solennellement déclaré
insuffisants les arguments amassés, comme elle
dit, par la critique contre l'authenticité mosaï-
que du Pentateuque ; mais un tel décret n'a
pas et il ne prétend pas d'ailleurs avoir aucune
valeur scientiâque. On n'ignore point que, parmi
les oonsulteurs de la Commission, les plus savants
ek les plus connus par leurs travaux dans le
monde scientifique acceptent les décisions de la
critique ; quant aux consulteurs théologiens
qui naturellement tiennent opiniâtrement à
l'opinion traditionnelle, on peut très justement
répéter de chacun d'eux ce que l'illustre critique
et philologue Ch. A. Briggs (1), bien connu par
^es tendances catholiques, disait de l'un des
secrétaires de la Commission : « La façon dont cet
auteur traite la Bible est si antiscientifique et
la manière dont il se sert de la langue hébraïque
prouve qu'il en est si profondément ignorant,
qu'aucun véritable homme d'étude ne peut
le juger compétent pour émettre un avis quel-
conque en matière de science hébraïque et son
sexil nom discrédite du coup la réponse de la
Commission ». La science philologique et criti-
que des cardinaux auxquels appartient exclusi-
vement le vote définitif, n'est pas à un niveau
plus élevé et leur attention, distraite par tant
D«,:^i i„ Google
iO Lk ttioatiAiiUK bEA HùraïuâsTtt
d'autres affaires, n'a pas même pu efDeiirer
légèrement un ensemble de travaux accumulés
par plusieurs générations de critiques. Autant
valait les appeler à donner leur avis sur des ques-
tions compliquées d'astronomie, comme leurs
prédécesseurs dans l'affaire de Galilée. Il était
naturel que, pour se tirer d'embarras, ils s'en
tinssent à l'argument de la tradition. Mais les
livres historiques de l'Ancien Testament, par
lesquels on voudrait démontrer l'existence d'une
tradition ininterrompue depuis Moïse, sont sou-
mis, nous l'avons vu, à la même critique que le
Pentateuque, et chez les plus anciens, quand il
est question de loi, cela s'entend, comme dans
le Pentateuque, de la loi deutéronomique.
L'attribution faite à Moïse du Pentateuque en
entier se rencontre pour la première fois dans les
Paralipomènes, écrite environ mille ans après
Moïse, distance trop considérable pour que l'on
puisse accorder à cette tradition une valeur
historique.
D'ailleurs, la même Commission biblique, tout
en proclamant hautement l'insufTiaance des
arguments de la critique, laisse comprendre
qu'au fond elle en sent toute la force. C'est pour
cette raison qu'elle admet que Moïse a pu se
servir de secrétaires dont il a ensuite mis en
ordre et publié les écrits. Evidemment, il faut
voir là une concession au caractère composite
du Pentateuque, conces»on insoutenable du
D«,:^i 1„ Google
LE PR00R&UH8 DES MODBRMSTES 41
reste dans la fonne où elle est proposée et de
plus insuffisante pour le but qu'on a en vue,
car les diverses parties qui composent le Pen-
tateuque diffèrent non seulement par la rédac-
tion qui oblige à les attribuer à plusieurs plu-
mes, mais aussi par le contenu qui suppose des
esprits divers ayant écrit indépendamment les
uns des autres et en dehors aussi d'un rédacteur
unique. De même, admettre que, dans le cours
des temps, des gloses et des modifications se
sont introduites dans le Pentateuque, c'est
reconnaître que les critiques ont raison quand
ils disent que certaines parties portent en elles
l'empreinte d'une époque postérieure à Moïse ;
mais, là encore, la concession ne réussit pas à
sauverl'authenticité mosaïque, puisque plusieurs
au moins de ces parties ne présentent aucun
caractère d'additions postérieures, mais foiment
un seul tout avec d'autres parties du contexte et
par conséquentne peuvent être regardées comme
des gloses par une critique sereine et impartiale.
En face de ces résultats de la critique biblique
basée sur des faits indéniables et admis par tous
ceux qui étudient sérieusement sans se laisser
détourner de leurs recherches par des préjugés
hérités du passé, les modernistes n'ont pas cru
pouvoir se soustraire à la lumière de la vérité en
se mettant en opposition criante avec la science
et les savants. Mais plutôt, tandis que d'un
côté ils ont accepté loyalement les résultats cer-
: L.OO^k-
42 LE PRoaitAuyB des yaDEsraerBS
tains de la critique, ils ont cherché de l'autre à
prendre en théologie de nouvelles positions, afin
que la critique ne pût pas choquer leur foi.
Avant tout ils ont compris qu'il faut décidé-
ment renoncer à l'illusion de posséder dans la
Bible une histoire entièrement parfaite de la
rehgion d'Israël. Les livres historiques de l'An-
cien Testament sont des compilations de docu-
ments provenant d'époques diverses et qui, tous,
font entrer dans l'époque de Moïse et dans celles
qui suivent des institutions et des coutumes en
vigueur au moment de leur rédaction. Ils nous
fournissent ainsi les matériaux pour pouvoir
reconstruire critiquement cette histoire, mais
ils ne la reconstituent pas eux-mêmes.
Cela revient-il à dire que les livres de l'Ancien
Testament racontent une fausse histoire ? Nous
touchons ici à l'un des problèmes les plus déli-
cats dans la conciliation entre la foi et la critique
rendant hommage à la vérité. Nous soutenons
que l'on n'est point fondé à taxer de fausseté les
écrivains sacrés. Le mot de fausseté a d'ailleurs
une signification relative ; pour qu'une affirma-
tion puisse être déclarée mensongère, il ne suffit
pas,parexemple, qu'ellenecorrespondepoint àla
réalité des faits, il faut encore que l'auteur l'ait
regardée et qu'il ait voulu qu'on la regarde
comme une affirmation de la réalité. Autrement
il faudrait soutenir qu'Homère, le Dante, Man-
zoni et tant d'autres écrivains sont des impos-
D«,:^i i„ Google
LB PROOnAHHE DES MODERNISTES 43
teurs. La véracité et la fausseté se mesurent
donc au caractère du livre, au genre littéraire
auquel il appartient. L'histoire, dans le sens.
étroit du mot, tend h la reproduction exacte
des faits, tandis que le poème et tous les autres
genres de littérature intensive ont en vue un
autre ordre de vérités qui dépasse la réalité
matérielle des faits. Et ces deux genres de litté-
rature ne sont pas séparés par une division nette
et profonde ; il y a entre eux toute une série de
degrés variés dans lesquels le réel se mêle au
fictif d'une foule de façons. Il existe également
un genre d'histoire qui fait une plus ou moins
large place à des descriptions, discours et dialo-
gues imaginaires. C'est même là le procédé que
les classiques comme Hérodote, Xénophon,
Tite-Live et Tacite ont généralement adopté en
écrivant l'histoire, sans qu'on puisse pour cela
les accuser de fausseté. Et l'on ne devrait point
s'étonner si, chez les peuples orientaux, doués
par tempérament d'une imagination plus ar-
dente, l'histoire devient encore plus intensive-
Quel que soit le caractère d'un livre, même s'il
est écrit dans la forme narrative, on ne doit pas
le juger à priori, mais seulement après un exa-
men attentif et minutieux de son contenu. Or
un semblable examen montre clairement que les
livres descriptifs de l'Ancien Testament, compo-
sés comme ils le sont au moyen d'une compila-
tion étudiée de plusieurs sources racontant di-
D«,:^i 1„ Google
44 LE PnOORAMUE DES M0DBRNIBTB8
versement les faits et usant en cela d'une sou-
veraine liberté, soit que cette liberté tienne à
la nature de l'auteur ou de la tradition à laquelle
il se rattache, ne sont point de l'histoire au
sens propre et moderne du mot. C'est avec juste
raison qu'on les appelle des histoires sacrées,
c'est-à-dire écrites et adoptées pour l'éducation
de la vie et du sentiment religieux.
On ne doit pas non plus considérer tout élé-
ment fictif comme décidément opposé au carac-
tère d'histoire religieuse, car très souvent, au
contraire, les histoires en tout ou en partie ima-
ginaires édifient davantage que les faits rigou-
reusement vérifiés et nous avons raison de faire
grand cas des antiques légendes des sainU et
des saintes et de les lire avec profit, bien que
nous sachions qu'elles contiennent des éléments
dont la source doit être cherchée en grande
partie dans l'imagination dupieux écrivain. Dans
la Bible elle-même nous avons un manifeste
exemple d'invention innocente dans le livre de la
Sagesse qui est mis tout entier dans la bouche de
Salomon, quoique l'on admette universellement
aujourd'hui qu'il a été écrit longtemps avant
l'ère chrétienne. Mais les théologiens, habitués
à se servir de la Bible dans un but apologétique
et strictement démonstratif, s'imaginent facile-
ment que ces écrits ont été composés dans ce
même but et qu'ils doivent être, par consé-
quent, exempts de tout genre d'invention. Mais
L:,<,,r,:^i i„ Google
LB PROGRAMUI DBS UODUNISTIS 43
ce n'est là qu'un préjugé. Les livres historiques
de l'Ancien Testament, étudiés soigneusement
dans leur contenu, ne témoignent aucune pré-
tention de prouver des vérités, mais simplement
celle de purifier le sentiment religieux des lec-
teurs. Les parties légales ne font pas davantage
exception. De même que l'auteur de la Sagesse
a pu attribuer son livre à Salomon, parce que
Salomon était considéré comme l'inventeur et
le plus illustre représentant de ce genre de litté-
rature, de même aussi d'autres auteurs ont pu
attribuer à Moïse les divers et successifs recueils
de lois, parce que c'est de Moïse que venait la
Thora, c'est-à-dire le pouvoir de donner en
Israël des décisions d'autorité. Du reste, ce qui
faisait la valeur d'une loi, ce n'était pas le fait
d'avoir été écrite par Moïse, c'était son anti-
quité ou autre raison analogue. Ainsi, lorsque
Josias entreprit son œuvre de réforme d'après
le code deutéronomïque, il n'en imposa pas les
observances en invoquant pour lui une origine
mosaïque, mais en montrant que la multiplicité
des cultes condamnée par ce même code avait
attiré en Israël les châtiments divins dont il
contenait la menace et en faisant appel à l'auto-
rité des prophètes alors vivants.
On voit clairement, après cela, dans quel sens
nous entendons et admettons la théorie de la j us-
tification des mœurs bibliques par l'assimila-
tion vitale, théorie que l'Encyclique nous repro-
i,Coo^k'
46 LE PHOGRAUUE DES MODERNISTES
che dans son § V. Nous n'admettons aucune
erreur proprement dite dans la Bible et encore
moins des mensonges, même ofïïcieux ; c'est
pourquoi nous n'avons rien de semblable à jus-
tifier par la tbéorie en question. Mais, du moins,
la loi de l'évolution peut nous expliquer l'emploi
dans la Bible de certaines formes littéraires qui
ne correspondent plus aux usages et aux besoins
de notre époque, et c'est précisément à ces for-
mes et aux exigences de la vie des lecteurs pour
lesquels chacun de ces livres a été écrit que
nous devons très souvent de ne pas trouver dans
la Bible ce que nous voudrions et d'y trouver
au contraire ce que nous ne voudrions point.
En second lieu, les résultats de la critique
nous ont contraints à abandonner l'ancienne
conception de l'inspiration biblique. Il n'y a pas
très longtemps encore, l'inspiration était consi-
dérée comme une dictée verbale de l'Esprit
Saint. Mais les tliéologiens scolastiqucs eux-
mêmes, dans la seconde moite du siècle dernier,
ont reconnu qu'un examen môme superficiel de
la Bible démontre que l'écrivain humain ne
saurait être considéré comme un simple instru-
ment matériel, et c'est pourquoi, tout en réser-
vant à l'action directe de Dieu toutes les pensées
contenues dans les livres saints, ils ont admis
que la façon dont elles ont été exprimées peut
être attribuée, malgré l'unanime tradition con-
traire, au génie de l'homme. Mais les résultats
D«,:^i i„ Google
DES MODKAMgTES
de la critique nous poussent fatalement plus
loin. Ce ne sont pas seulement les paroles qui
ne peuvent provenir directement de Dieu, mais
les idées elles-mêmes, puisqu'elles sont fréquem-
ment contradictoires. Le livre entier, paroles et
idées, est l'œuvre de l'homme, sans cesser pour
cela d'être aussi l'œuvre de Dieu, mais sans
qu'il y ait à faire entre les idées et les paroles
une distinction ignorée de l'antiquité. L'inspi-
ration n'est plus regardée comme consistant en
une transmission mécanique de la parole et de
l'idée, de Dieu à l'homme ; noua voyons en elle
une conception vitale de la parole en même
temps que de l'idée, par l'œuvre de l'homme,
mais celui-ci n'en est pas moins uni d'une ma-
nière spéciale et surnaturelle à Dieu qui a élevé
ainsi, en l'homme et par le moyen de l'homme,
à des degrés toujours supérieurs de sens reli-
gieux, le peuple d'Israël.
Par ce qui précède on peut aisément com-
prendre combien notre conception de l'inspira-
tion diffère de celle que l'Encyclique nous attri-
bue au § III. Non seulement nous ne considérons
pas l'inspiration comme la simple manifestation,
correspondant à un intime besoin, que chaque
croyant peut faire de sa foi, mais nous la regar-
dons comme une œuvre particulière de Dieu et
même comme l'exécution d'un grandiose plan
divin pour le salut de l'homme. Qu'il y ait dans
les livres saints des imperfections non seulement
D«,:^i i„ Google
48 LE PROGRAMME DES II0D8RNI8TKS
quant à la langue et au style, mais encore quant
au contenu, c'est un fait qui résulte de l'obser-
vation de l'analyse critique. Ce fait, ce n'est pas
nous qui Tavons inventé, mais par notre manière
de concevoir l'inspiration il nous est facile de
lui trouver une explication. Si les idées et les
paroles émanaient de Dieu même, s'il les avait
ainsi simplement transmises à l'écrivain inspiré,
il aurait certainement employé celles qui pou-
vaient le mieux correspondre à la capacité des
lecteurs de tous les temps et il n'aurait pas eu
besoin pour cela de répétitions différentes et
souvent contradictoires ; mais puisque les paro-
les et les idées sont l'œuvre de l'homme, les
unes et les autres participent nécessairement
de l'imperfection humaine et de là les répéti-
tions fréquentes et les contradictions. L'inspi-
ration n'a pas été accordée pour empêcher ces
imperfections, mais pour que, malgré ces imper-
fections même, l'œuvre de l'homme pût parve-
nir à accomplir le sublime dessein de Dieu.
Enfin, outre la notion d'inspiration, la criti-
que nous oblige à changer celle de la révélation,
non dans sa substance, puisque pour nous aussi
la révélation est le message de Dieu à l'homme,
mais quant à la manière dont le message divin
a été transmis à l'homme. L'Encyclique insiste
surtout sur le caractère extérieur de la Révéla-
tion. Mais nous ne nions pas non plus que pour
la transmission du message divin à la masse des
i:™,i,.-M I , Google
LA PnOORAUHE DES HODEaMSTBS 49
fidèles, il faille nécessairement un moyen exté-
rieur, c'est-à-dire un intermédiaire entre Dieu
et l'homme : l'homme de Dieu, le prophète.
Mais de quelle façon Dieu communique-t-il avec
le prophète ? Les récita bibliques donnent cer-
tainement à ces communications une forme
extérieure ; mais est-ce là une représentation
artificielle ou bien l'expression exacte de la
réalité ? La première hypothèse, après tout ce
que noua avons dit sur le caractère de véracité
de l'histoire sacrée, ne peut être jugée impossi-
ble ; elle apparaîtra même comme la plus pro-
bable, si l'on réfléchit qu'une seule et même
révélation, par exemple celle de Moïse au Sinal,
est relatée de différentes manières dans les
divers documents. On a observé qu'en général
le lahviste accorde une réalité objective aux
apparitions divines ; l'Elohiste les réduit, au
contraire, à des songes nocturnes, tandis que de
tous les éléments sensibles qui constituent la
vision, le Code sacerdotal conserve seulement
la parole de Dieu, Qui donc soutiendra qu'au
fond de toutes ces diverses représentations qui
tendent graduellement à l'immatérialité, il n'y
a pas une réalité purement spirituelle ?
En tout caa, nous ne pouvons apprendre
directement et exactement par le moyen des
livres historiques de l'Ancien Testament quelle
est la nature du fait de la Révélation ; il fau-
drait plutôt recourir aux livres prophétiques qui
i:,<,,i,.-^i I,, Google
Su LB PKoaRAHHE DES UODBRNlSTBa
sont une source plus directe et par conséquent
plus sûre. Or, si les prophètes font parfois men-
tion de TÎMons, le plus souvent ils n'en parlent
point et ils conçoivent la voix de Dieu comme
une force intérieure & laquelle ils ne peuvent se
soustraire. Du reste on ne voit pas pourquoi on
attribuerait tant d'importance à la révélation
extérieure, comme si celle-là seulement pouvait
nous rendre certains que Dieu s'est manifesté
aux honunes, tandis que nous savons que Dieu
ne peut être un objet direct de nos sensations
et que, d'autre part, les moyens ne lui man-
quent pas de communiquer directement et sans
possibilité de doute à l'âme du prophète.
L'histoire biblique nous représente la Révé-
lation non seulement comme extérieure, mais
encore comme s'étant produite soudainement
et par le moyen d'un seul homme : Moïse, les
Prophètes n'auraient pas fait autre chose qu'ex-
pliquer et inculquer la Révélation mosaïque.
Mais encore, sur ce point, la critique nous a
obligés à changer d'idée. Elle nous a enseigné
que les diverses institutions et législations se
sont succédé pendant un long espace de temps,
chacune d'elles étant venue modifier et amélio-
rer la précédente. Les livres historiques de
l'Ancien Testament font entrevoir des temps
plus anciens où le peuple hébreu se trouvait au
même niveau religieux que les autres peuples.
Cette position, à l'époque de l'écrivain, est déjà
D«,:^i i„ Google
LE PROfiRAMUE DES MODERNISTES Gl
dépassée, mais non pas entièrement ; on voit
très bien qu'Israël a encore besoin qne Dieu
veille constamment pour le préserver de retom-
ber dans l'idolâtrie et dans ses vices. Ce danger
apparaît comme plus ou moins grave selon les
diRérents livres. Dans cette grande œuvre pro-
gressive de renouvellement et d'éducation reli-
gieuse du peuple israélite, ce n'est pas seulement
Moïse qui a servi à Dieu d'instrument, mais
aussi les prophètes, ses successeurs, dont beau-
coup ne nous ont laissé aucun écrit ni même leur
nom. L'Esprit de Dieu ne s'est pas astreint à
une seule époque ou à un cercle auguste de
personnes ; il s'est répandu laidement au coiu^
des siècles et des générations humaines, ame-
nant sans cesse son œuvre à une plus haute
perfection.
Une dernière observation, qui n'est pas dé-
pourvue d'importance, sur la nature de la révé-
lation, est que son objet n'a pas été tant la
connaissance abstraite de la divinité que l'ins-
truction pratique sur la manière d'adorer Dieu
et de conformer notre vie à la loi suprême de
sa volonté. Les Prophètes ont donné aux rois
et au peuple des indications pour les cas indivi-
duels ; le Pentateuque contient les prescriptions
générales et les autres livres historiques racon-
tent le bien et le mal qui est survenu à Israël
par suite de l'observation ou de la transgression
de la Loi.
■ .....Go..glc ■
CHAPITRE III
La Critique et te Nouveau Testament.
Ce que le Pentateuque est pour la religion
d'Israël, les Evangiles le sont pour le Christia-
nisme. Même au point de vue critique, il y a
entre ces deux parties, qui sont les plus intéres-
santes de la Bible, plusieurs analogies. De même
que les origines de la religion Israélite sont diver-
sement représentées par les quatre sources qui
constituent le Pentateuque, ainsi les origines du
christianisme le sont par les quatre Ëvan^les
qui demeurèrent pourtant séparés dans l'EgUse
et non point fondus en un Diatessaron unique,
comme celui qui, pendant longtemps, fut en
usage dans les antiques Eglises de Syrie.
Et les différences entre les Evangiles, si l'on
s'en tient à la lettre, prennent bien souvent le
caractère de véritables antilogies. De tout ceci,
l'Encyclique ne veut rien savoir et contre le
jugement des critiques, elle en appelle, avec des
paroles dédaigneuses, à la foule innombrable
des Docteurs qui, bien qu'incomparablement
plus saints et plus savants que les modernistes,
n'ont jamais trouvé quoi que ce fût à reprendre
D«,:^i i„ Google
LB t>RO<iR&MME DBS MODERNISTE 83
dans les Livres Saints. Cependant la vérité est
que les Docteure, en lisant et en comparant entre
eux les Evan^Ies, se sont souvent aperçus de
frappantes contradictions que leur piété s'est
efforcée d'expliquer en en rejetant la faute ou
sur une transcription vicieuse ou sur une erreur
de traduction, ou sur la pauvre intelligence des
lecteurs. Mais quand ils se sont ainsi ingéniés
à rétablir une parfaite concordance entre les
Evangiles, y sont-ils toujours parvenus en réa-
lité ? C'est là la question. La publication inin-
terrompue de nouveaux essais d'harmonisation
des Evangiles, de nouveaux travaux pour les
concilier entre eux, tendrait plutôt à prouver
le contraire. Un exemple suflira : que d'explica-
tions n'a-t-on pas données et n'imagine-t-on pas
encore pour faire concorder les trois premiers
Evangiles avec Saint Jean sur la date de la der-
nière Cène et de la mort de Jésus ? Cela prouve
que pour résoudre la contradiction on n'a pas
trouvé de solution lumineuse, capable de satis-
faire tout le monde, et on ne l'a pas trouvée,
parce qu'elle n'existe pas. Passe encore s'il ne
s'agissait que de ce seul cas ou de quelques
autres cas fort rares ; mais on peut dire, au
contraire, qu'il n'y a pas un seul passage impor-
tant qui ne présente entre iea évangélistes^de
graves et insurmontables divet^ences.
Ce que dit l'Encyclique est pourtant vrai en
partie : il y a entre les Evan^les des difTéren-
I, Google
!J4 LB PROOIUMUB DES HODBRNISIBS
ces que les anciens n'ont pas du tout soupçon-
nées ; et par conséquent c'est bien en vain
que la Commission biblique, dans le décret du
29 mai 1907 — De auctore et veritate kistorica
quarti Evangelii — en appelle à la solution que
les Pères et les exégètes catholiques ont donnée
autrefois aux diflScultés résultant de la compa-
raison du quatrième Evangile avec les trois
autres ; ib ne pouvaient résoudre des difficul-
tés qu'ils ne connaissaient pas. La critique a fait
pour les Evangiles ce qu'elle a fait pour le Pen-
tateuque; elle a découvert le caractère spécial
de chacun d'eux et ainsi elle a pu déterminer
non seulement les différences de détails, mais
encore les différences générales qui tiennent
à la nature de chacun de ces écrits et don-
nent précisément la raison des différences par-
ticulières. Pour faire comprendre notre pen-
sée, qu'il nous soit permis de citer quelques
exemples. On a observé que dans Saint Marc
la vie publique de Jésus suit un développe-
ment régulier et progressif. Au commence-
ment, sa fîliation divine est un secret que le
Père lui révèle à lui seul lors de son baptême ;
il opère après cela des miracles tels que le Fils
de Dieu seul en peut accomplir, mais il ne prend
cependant point expressément ce titre et il
défend même aux démons de le lui donner,
comme il défend aux malades qu'il a guéris de
publier ses prodiges. Le premier à conclure des
lGoo'^Ic
LB PROdRAHMâ DES MObEHNiBTES S&
œuvres opérées par Jésua que celui-ci eat le
Christ, c'est Pierre, qui le proclame ainsi près
de Césarée. A partir de ce moment, Jésus parle
souvent de sa messianité et de sa passion qui
doit nécessairement la consacrer, mais toujours
en secret et seulement avec ses disciples. Le
peuple reconnaît et acclame pour la première
fois Jésus comme le Messie au moment de l'en-
trée solennelle à Jérusalem, et Jésus déclare
publiquement qu'il est effectivement le Messie
dans son procès devant le Sanhédrin. Telle est
la texture du second Evangile. Dans Mathieu et
dans Luc, au contraire, Jés^s, dèa le commence-
ment, dans la scène du baptême, est présenté
au public comme le Fils de Dieu, et Jésus lui-
même, dès le début — dans le sermon sur la
montagne chez Saint Mathieu, dans le discours
inaugural de Nazareth, chez Saint Luc — se
présente à la foule comme le suprême législateur,
le Seigneur, le Juge universel, l'oiiit de Dieu ou
le Christ, et par suite les disciples, même avant
la confession de Pierre, le proclament Seigneur
et Fils de Dieu. Mais, néanmoins, ces deux
Evangélistes conservent l'un et l'autre l'injonc-
tion faite aux malades guéris et aux démons de
garder là-dessus le silence, ainsi que la confes-
sion de Pierre à laquelle Mathieu attribue même
une importance particulière. Le quatrième Evan-
gile aussi, à l'exemple de Mathieu et de Luc, fait
proclamer publiquement Jésus Fils de Dieu dès
D«,:^il,,G00^k'
86 Le PhoGbAHhE bas udDEiiMisTËa
le commencement, lors du baptême de Jean et,
dès le début aussi, il le fait reconnaître comme
tel par ses disciples. Mais le quatrième Evangile
va plus loin que les deux autres. Non seulement
il ne conserve plus aucune trace de l'ordre suivi
par Marc, omettant toute injonction de Jésus
de taire sa qualité de Messie et ne disant même
rien de la confession de Pierre à Césarée, mais,
en outre, irrepréBente Jésus comme ne parlant
que de lui-même, dès la première heure, pour
proclamer et défendre contre l'opposition des
Juifs ses dons divins, c'est-à-dire son origine
céleste, son existence antérieure à la création
du monde, son unité avec le Père, sa coopéra-
tion à l'œuvre de la création et de la révélation,
etc., toutes idées qui ne se rencontrent jamais
dans les autres Evangiles et que l'Evangéliste
a exposées d'abord dans le prologue et fait
répéter ensuite, au moins en partie, par Jean-
A ces diverses manières de concevoir la révé-
lation faite par Jésus de sa filiation divine, cor-
respond aussi une façon différente de représen-
ter son histoire également par rapport à cette
filiation. Saint Marc conserve à la figure hu-
maine de Jésus tous ses traits ; il lui attribue
la compassion, la tendresse, la colère, l'impa-
tience, la peur, l'ennui et même la tentation,
la puissance limitée — comme lorsqu'il guérit
plusieurs des malades qui lui sont amenés à
D«,:^i i„ Google
LB PROGRAMME DBS MODERNISTES 57
Caphamaum, mais noa point tous, ou comme
lorsqu'il ne peut faire aucun miracle à Nazareth
— et aussi l'ignorance — comme quand il est
obligé d'interroger pour savoir quelque chose
ou lorsqu'il déclare ne point connaître le jour
de la fin du monde. Mathieu et Luc prennent
grand soin de faire disparaître de la physiono-
mie de Jésus tous les traits qui semblent con-
tredire sa filiation divine, principalement l'im-
puissance et l'ignorance. Il faut remarquer, par
exemple, la manière dont la réponse faite par
Jésus, d'après Saint Marc, à celui qui l'avait
appelé « bon Maître » : « Pourquoi m'appelles-tu
bon ? Nul n'est bon, si ce n'est Dieu n, est trans-
formée par Mathieu de façon à ne pas paraître
nier à Jésus l'attribut de la bonté divine :
« Pourquoi ra'interrogea-tu sur ce qui est bon ?
Un seul est le bon ». Saint Luc omet com-
plètement cet épisode. Mais dans Mathieu et
dans Luc tous les traits humains n'ont pas
disparu ; il reste surtout la scène de la tentation
et la scène éminemment humaine de Getsémani.
Dans Saint Jean, au contraire, Jésus pense,
parle et agit continuellement du point de vue
de son union avec le Père et, par conséquent,
il n'y a et il ne peut plus y avoir en lui aucune
affection ou faiblesse humaine, encore moins la
tentation et l'agonie morale du Jardin des Oli-
viers où, au lieu de cela, nous le voyons aller
lui-même au devant de ses ennemis et les terras-
: L.OO^k-
S8 u PROGRAMme ces uodernistks
ser au seul son de sa voix. Cette tendance diflé-
rente,plus ou moins accentuée,de faire ressortir
la divinité du Christ sur son humanité expUque
beaucoup des divergences entre les Evangélistes.
Mais la critique ne s'est pas contentée de
rechercher les caractères propres à chaque Evan-
gile et la distance qui les sépare l'un de l'autre ;
elle a eu soin d'examiner attentivement aussi
les ressemblances et les relations mutuelles de
parenté. Cet examen, qui avait été fait pour les
documents constitutifs du Pentateuque, a sou-
levé dans son application aux Evangiles des
problèmes plus sérieux encore et a donné des
résultats beaucoup plus importants
Ou avait observé depuis longtemps — c'est
un fait qui saute facilement aux yeux — que
les trois premiers Evan^les présentent de frap-
pantes ressemblances entre eux, ce qui les a
fait désigner sous le nom générique de Synopti-
ques. Avant tout, les ressemblances concernant
la matière dont un tiers environ est commun à
tous les trois et dans une proportion notable,
quoique plus faible, à deux seulement, Mathieu
et Luc ; étant donné les formes multiples de
l'activité de Jésus et l'ampleur de son enseigne-
ment, le fait est certainement significatif. Mais,
ce qui est plus significatif encore, les ressem-
blances s'étendent jusqu'à la lettre dans ses
plus petits détails, non seulement dans les dis-
cours — ce qui est très remarquable, car Jésus
D«,:^i i„ Google
LE PR06RAHHE DES MODERNISTES 59
n'a pas parlé grec, mais araméen, en sorte que
les Evangiles se sont accordés littéralement
dans une même manière de traduire — mais
aussi dans les récits. Tout ceci est d'autant plus
pour surprendre que les plus saisissantes anti-
lopes se mêlent aux ressemblances et qu'à côté
des traits communs, il s'en trouve d'autres qui
n'ont rien d'équivalent dans les autres Evan-
giles. Quelle est donc cette méthode ? Le pro-
blème a exercé depuis plus d'un siècle le génie
des savants, mais on peut dire finalement que
la question des Synoptiques a reçu une solution
unanime et définitive avec l'hypothèse de la
double source. D'après cette hypothèse, la pre-
naière source, qui explique les ressemblances
communes à tous les trois, est Saint Marc : il a
servi de hases aux deux autres. Les raisons prin-
cipales de cette conclusion sont les suivantes :
La matière contenue dans Saint Marc se retrouve
toute dans les deux autres Synoptiques égale-
ment à très peu d'exception près, tandis que de
fort nombreux passages de Mathieu et de Luc
manquent complètement dans Saint Marc. Si
donc Marc est la source commune des deux
autres, on comprend facilement comment il a
dû être complété au moyen d'autres sources
écrites ou orales ; mais vice versa, on ne com-
prendrait pas qu'une source plus vaste, comme
Saint Mathieu, par exemple, ait pu se restrein-
dre dans un Evangile beaucoup plus court
,,Got>glc
60 LE PROGRAUME DES MODBBHISTBS
comme Saint Marc. Il faudrait dire que celui-ci
a voulu faire un résumé des deux autres ou de
l'un d'eux, comme le pensait Saint Augustin,
mais cela n'est pas possible, puisque, tandis
que d'un côté il néglige des faits d'une suprême
importance, de l'autre il s'étend plus que les
autres sur des circonstances sans aucune valeur
doctrinale. La seconde raison est l'ordre suivi
par les Synoptiques, tantôt concordant, tantôt
différent, mais de façon cependant que jamais
Saint Mathieu et Saint Luc ne s'accordent entre
eux pour suivre un ordre autre que celui de
Saint Marc, tandis que Marc tantôt s'accorde
avec Mathieu contre Luc, et tantôt avec Luc
contre Mathieu. Cela prouve que Saint Marc
marque la voie commune dont ou l'un ou l'autre
de ses deux compagnons s'écarte. Par exemple,
Saint Mathieu place la guérison du lépreux
après le sermon sur la montagne, alors que
Jésus descendait entouré par la foule, mais la
parole de Jésus au lépreux : « Ne le dis à per-
sonne I » suppose que le fait ne s'est pas passé
publiquement, comme c'est précisément le cas
dans Saint Marc. Saint Luc place la visite des
parents de Jésus après le discours des paraboles
tenu en plein air au milieu de la foule, mais la
nouvelle que l'on en donne à Jésus : « Ta mère
et tes frères sont dehors et te demandent » sup-
pose que le fait s'est passé alors que Jésus-Christ
D,<,,r,:^i 1„ Gotlglc
LE P»OGRAUUE DES MODERNISTES 61
était à la maison, ainsi que le raconte justement
le deuxième évangile.
Ce que l'on dit de la disposition des faits doit
se dire également de leur exposition. Les Synop-
tiques diffèrent souvent entre eux en exposant
les circonstances qui accompagnent le fait prin-
cipal, mais là encore, ordinairement, Saint Marc
concorde avec l'un de deux autres et ce ne sont
pas ceux-ci qui concordent ensemble contre
Saint Marc, si l'on excepte quelques petites
particularités spécialement linguistiques dont
la raison ne peut être recherchée ailleurs que
dans la composition des Synoptiques. La langue
de Saint Marc abonde en hébraïsmes qui dispa-
raissent en partie dans Mathieu et dans Luc. Or
il n'est pas possible que Marc ait rendu à des-
sein la langue de Mathieu et de Luc moins "pure,
tandis que l'on conçoit aisément que les deux
autres Evangélistes aient cherché à corriger et
améliorer le langage de la source à laquelle ils
ont puisé.
On a recherché une seconde source pour les
parties communes seulement à Mathieu et à
Luc et qui consistent pour la plupart en des dis-
cours de Notre Seigneur, Il a fallu, cette fois,
sortir des synoptiques, c'est-à-dire supposer une
source commune aux deux Evangiles, source
n'existant plus aujourd'hui et que l'on est con-
venu d'appeler Logia, mot grec par lequel
Papias, l'un des plus anciens écrivains ecclésias-
: L.OO^k-
62 LE PROGRÀUUE DBS MODERNISTES
tiques, désigne le contenu de l'œuvre originale
de l'apôtre Mathieu. Et cela pour plusieurs rai-
sons. Tout d'abord, on a remarqué que les carac-
tères de priorité ne se rencontrent pas toujours
du même côté, mais tantôt dans Saint Mathieu
et tantôt dans Saint Luc. En second lieu les
deux Evangélistes disposent, chacun d'une ma-
nière indépendante, lea sentences de Jésus dans
la narration commune. Saint Mathieu aime à
combiner de courtes sentences du Seigneur dans
de longs discours ; Saint Luc les maintient au-
tant que possible séparées. Saint Mathieu cher-
che l'occasion d'insérer les discours qu'il a com-
posés avec les paroles de Jésus dans la narration
même de Saint Marc et ainsi il n'a pas eu besoin
de leur donner aucune introduction historique
particulière. Saint Luc, au contraire, fait de
tout ce qu'il ajoute à Saint Marc, y compris les
parties communes avec Mathieu, deux récits,
l'un plus long que l'autre, et il les insère dans
la narration commune de Saint Marc oii il
ouvre ainsi comme deux longues parenthèses ;
aussi, comme il ne trouve pas ainsi dans Saint
Marc même l'occasion de rapporter les senten-
ces de Jésus, il leur compose une introduction
personnelle pour expliquer l'occasion dans la-
quelle elles ont été prononcées. Enfin la suppo-
sition d'une source distincte des synoptiques est
confirmée par le fait qu'aussi bien Saint Mathieu
que Saint Luc rapportent deux fois la même
D«,:^i i„ Google
LE PROORAMUE DES M0DERM8TES 63
parole du Christ, lorsque celle-ci se trouve éga-
lement dans Saint Marc. L'explication la plus
naturelle du fait est analogue à celle que l'on
donne des passages doubles du Pentateuque,
c'est-à-dire que chaque Evangéliste dépend
d'une double source : l'une Saint Marc, et l'autre
UD recueil des discours du Seigneur, les Lo^a.
Restent les parties propres à Mathieu ou à
Luc seulement. On ne saurait étabhr, quant à
leur origine, un principe général. Elles ne peu-
vent être que bien rarement considérées, ellta
aussi, comme extraites des Logia ; le plus sou-
vent elles dépendent d'une source particulière,
ou écrite, ou orale.
Le livre des Actes qui, à l'origine, formait un
seul et même ouvrage avec le troisième Evan-
gile est étroitement uni avec les synoptiques. Il
ne faut pas s'étonner, par conséquent, si l'on
rencontre dans les Actes les mêmes phénomènes
que dans les Synoptiques, C'est-à-dire que le
texte nous présente ici aussi diverses contra-
dictions : contradictions entre les différentes
parties du livre lui-même, comme lorsque la
conversion de Saint Paul est racontée à trois
reprises toujours avec de nouvelles circonstan-
ces, et sa vocation à l'apostolat parmi les Gen-
tils reportée à trois époques différentes ; con-
tradiction aussi avec les épitres pauliniennes
et dont les plus saillantes sont celles qui con-
cernent la rencontre de Paul et de Barnabe
D«,:^i i„ Google
64 LE PnOQHAHMB DES MODERNISTES
avec les apôtres de Jérusalem, racontée aussi
par l'épître aux Galates.
Mais tout ceci s'explique également dans les
Actes par la tendance générale du livre. L'au-
teur a voulu démontrer l'unité primitive et la
fondation du Chriatianiame par le Christ. C'est
pourquoi il nous décrit d'abord la formation
du christianisme judaïque par le moyen des
Apôtres institués par le Christ, puis l'établisse-
ment du Christianisme des Gentils personnifié
par Paul, comme succédant au christianisme
des Juifs personnifié par Pierre. C'est la raison
pour laquelle il accorde à la personne de Paul
une place plus grande que celle qui lui revient,
comme lorsqu'il lui attribue la première prédi-
cation de l'Evangile dans le monde païen, y
compris Rome où les Juifs reconnaissent n*avoir
eu, par ouï-dire qu'une vague nouvelle du chris-
tianisme ; tandis que dans les Actes mêmes,
sans parler des épîtres pautiniennes, il y a des
indices certains qu'avant l'arrivée de Paul le
christianisme était déjà établi à Rome, même
parmi les Juifs. D'autre part, c'est diminuer
considérablement la figure historique de Paul
que de le mettre depuis sa conversion, _même
pour sa mission chez les Gentils, en étroite rela-
tion, et dépendance avec le christianisme et
l'Eglise de Jérusalem en particulier. Naturelle-
ment cette peinture est contraire à celle que
nous lisons dans l'épitre aux Galates, dont le
: L.OO^k-
Le PtlOQRAUUE USÉ MODERNlSTEd 6S
but était, au contraire, de montrer l'origine
immédiatement divine et l'absolue indépen-
dance de l'apostolat de Paul parmi les païens.
Les antilogifâ qui se rencontrent dans les
diverses parties des Actes ont soulevé la question
de la composition du livre, c'est-à-dire celle de
savoir s'il provient de sources écrites. La plu-
part des critiques tendent à admettre plusieurs
sources écrites, et ils distinguent en particulier
celle qu'ils appellent du nous, parce qu'elle
emploie dans le récit la première personne du
pluriel indiquant ainsi que le narrateur lui-
même a pris part aux faits qu'il raconte. On
suppose donc que cette source se trouve être les
notes de voyage d'un compagnon de Saint Paul,
notes dont le compilateur du livre aurait fait
usage sans réussir pourtant entièrement à les
mettre d'accord avec sa narration, parce que
celle-ci s'inspire précisément d'une tendance
étrangère aux simples notes de voyage du com-
pagnon de Saint Paul.
Le quatrième Evangile se meut dans un do-
maine complètement différent des Synoptiques.
La forme, et pour la plus grande partie la
matière même en est tout autre. 11 n'est pas
jusqu'au champ du ministère de Jésus qui
ne diffère ; tandis que dans les Synoptiques,
c'est la Galilée exclusivement, sauf pendant la
semaine avant Pâques, pour le quatrième Evan-
gile, c'est principalement la Judée et Jérusalem.
D«,:^i i„ Google
66 LE PnOGRAMMB DBS MObERNlSTES
Le caractère même du livre tranche plus encore :
les Synoptiques sont, par leur nature, des his-
toires dans lesquelles la narration occupe la
place principale et les discours se lient plus ou
moins étroitement avec elle ; dans Saint Jean,
au contraire, les discours forment la partie la
plus importante et les .récits ont pour objet
d'introduire ces discours, d'illustrer par un fait,
de matérialiser pour ainsi dire les diverses idées
qui y sont exprimées. Il faut ajouter à cela le
but, nous ne disons pas contraire, mais plus élevé
que celui des Synoptiques et qui, comme nous
l'avons dit, explique les différences particulières
et les divergences avec les autres Evangiles,
Mais, nonobstant la grande distance qui sépare
le quatrième Evangile des trois autres, on ne
peut nier qu'il n'ait avec eux des points de
contact et que Saint Jean n'ait connu et utilisé
d'une certaine manière les Synoptiques. Cela
devient évident non seulement dans les quel-
ques points où Saint Jean s'accorde avec les
autres et leur emprunte même quelques paroles,
mais encore lorsqu'il s'en écarte notablement,
puisqu'alors il laisse comprendre qu'il agit inten-
tionnellement et il n'hésite même pas k faire
allusion, parfois même tacitement, à l'avis diffé-
rent de ses prédécesseurs. Qu'on se rappelle, par
exemple, le passage où il déclare que Jean-
Baptiste n'avait pas encore été mis en prison
lorsque Jésus commença à prêcher et à baptiser,
i:,<,,r,:^i i„ Google
IQOAHME t>E8 HObERNlSTEB
comme pour corriger le deuxième Evangile
d'après lequel le début de la prédication de Jésus
est postérieur àl'emprisonnement de J. -Baptiste.
Il résulte de nombreuses observations, que nous
ne pouvons rapporter ici, que Saint Jean a connu
Saint Marc et Saint Luc ; on ne peut dire d'une
façon certaine s'il a connu aussi Saint Mathieu.
Après tout ce qui précède, on voit clairement
quels sont les résultats que la critique considère
comme définitivement acquis relativement à
l'origine et à la composition des livres histori-
ques du Nouveau Testament, Ils sont en grande
partie relatifs. En premier lieu se placent les
sources évangéliques, les Lo^a et Saint Marc,
soit sous la forme actuelle, soit sous une autre.
Puis viennent les Evangiles compilés sur ces
sources. Saint Mathieu et Saint Luc, auquel
lait suite naturellement le livre des Actes, qui
suppose cependant des sources particulières.
Enfin vient Saint Jean, œuvre complètement à
part et originale.
Mais quels sont les auteurs de ces divers
écrits ? C'est là une question que la critique
place en seconde ligne. Si les opinions tradition-
nelles sur les auteurs des Evangiles concordent
avec les résultats obtenus quant à la composi-
tion, la dépendance respective et la nature des
Evangiles, tant mieux ; sinon, elles doivent être
abandonnées. Mais l'on dira : la logique n'exige-
t-elle pas que l'on commence par la question des
D«,:^il,,G00^k'
68 LK PROdRAuMi; bES MOOËRNtStËd
auteurs avant de passer aux autres ? Certaîne-
meat non. La question du caractère et de la
composition d'un livre ae dépend pas du tout
du nom de l'auteur ou compilateur, mais elle
résulte de l'étude immédiate du livre lui-même.
Au contraire, la question de l'auteur parfois
est très complexe, et ae peut se résoudre qu'indi-
rectement. Il en est ainsi pour les Evangiles. Là
tradition qui les attribue à ceux dont ils por-
tent le nom se trouve exprimée indirectement
pour la première fois par Saint Justin vers le
miUeu du deuxième siècle. Quelle peut être la
valeur de l'assertion de Saint Justin et dans
quelle relation il se trouve avec toute la période
qui le sépare de l'origine des Evangiles, nous
ne pouvons le constater directement, mais tout
au plus le déduire de conjectures plus ou moins
probables. La logique veut cependant que l'on
commence par examiner les livres mêmes que
nous avons aous les yeux, quitte à étudier ensuite
la valeur de ce que les autres disent au sujet de
leurs auteurs ; ce dernier examen peut dépendre
du premier et être facilité par lui, tandis qu'il
n'y a rien de semblable à attendre du procédé
contraire.
Cecip08é,rien n'empêche que les deux sources
de l'bistoire évangélique puissent être attribuées
comme l'a écritPapiaSjl'une à Mathieu et l'autre
à Marc. Au contraire, il ne paraît guère proba-
ble que le troisième Evangile ait été écrit par
D«,:^i i„ Google
tX PRDORAUUB DfiS MODBttttlSTBS 69
Saint Luc, compagnon de Saint Paul, puisque
cet Evangile et le livre des Actes ont certaine-
ment le même auteur, mais les Actes, en raison
des détails parfois contradictoires au sujet de
Saint Paul ou ne concordant nullement avec les
épltres de ce dernier, peuvent difficilement avoir
été écrits par un compagnon de Saint Paul lui-
même. Il faut se borner à dire que l'une des
sources du livre est un écrit d'un compagnon de
l'apôtre, probablement Saint Luc, et qu'à cause
de cela peut-être l'ouvrage entier a été attribué
à Saint Luc. Il est encore moins probable que
le premier Evangile ait été écrit par l'apôtre
Mathieu, si, comme nous l'avons dit, il a été
compilé sur le second écrit en grec et par un
témoin non oculaire. Encore ici probablement
le nom de l'auteur de l'une des sources, les
Lo^a, a passé à l'œuvre entière. Plus compli-
quée est la question de l'auteur du quatrième
Evangile, si bien que nous ne saurions en donner
ici, même un aperçu rapide. Qu'il nous sufHse
de dire qu'il n'est pas facile de concilier l'opi-
nion traditionnelle avec la nature du livre telle
qu'elle résulte de l'examen interne et de sa com-
paraison avec les Synoptiques.
Nous ne pouvons parler que brièvement des
autres livres du Nouveau Testament. Les épltres
pauliniennes ont été pour la plupart loyalement
reconnues comme authentiques par la critique,
en dépit des attaques de l'hypercritique des
; Google
^ô LE PhOORAIlMB bES HODEHNISTEa
théologiens hollandais. On n'a fait exception
que pour quelques-unes d'entre elles, e'est-à-
dire non seulement pour l'épître aux Hébreux
qui ne porte aucun nom d'auteur ni en elle-
même, ni dans la plus antique tradition, mais
pour certaines autres encore ouvertement écri-
tes au nom de Saint Paul, comme les épttres à
Tite et à Tiiimothée. Les épStrea catholiques sont
généralement regardées aussi comme pseudé-
pigraphes. Ces jugements se fondent sur la
confrontation des épitres elles-mêmes avec les
lettres authentiques de Saint Paul et avec les
conditions, vérifiées par d'autres moyens, des
temps auxquels on les attribue ou avec la qua-
lité des personnes par lesquelles on voudrait
qu'elles aient été écrites. Le titre de tel ou tel
apôtre qu'elles portent en tête n'est pas consi-
déré comme un argument suflisant d'authen-
ticité. La publication de livres sous le nom
d'autrui n'était pas dans l'antiquité une chose
insolite et réputée illicite comme de nos jours.
Dans des temps assez rapprochés du Nouveau
Testament, nous trouvons par exemple l'Apo-
calypse de Pierre, l'Evangile de Pierre, la Pré-
dication de Pierre, autant d'ouvrages pseudo-
nymes. Nous en voyons autant dans le judaïsme
voisin de l'époque du Christ ; ce n'est pas seu-
lement dans les écrits apocalyptiques que l'on
faisait parler d'ordinaire un personnage illustre
de l'antiquité, comme Hénoch, Moïse, Isale,
i,Coo^k'
LB PtlMRAHIlft DES tlODKRNIaTEfl li
etc., mais même dans les livres sapientiaux,
spécialement attribués à Salomon, comme il est
arrivé pour le livre canonique de la Sagesse.
Dans la littérature classique on rencontre sou-
vent des exemples analogues, pour ne citer que
les écrits assez nombreux et évidemment apo-
cryphes qui nous sont parvenus sous le nom de
Pythagore. Cela devait se produire natiu-elle-
ment avec plus de facilité encore dans le genre
épislolaire où la forme même de lettre n'est
souvent qu'une pure fiction. Il ne faut donc pas
croire que la pseudonymie soit nécessairement
une fausseté ou une cause immorale : c'était un
usage littéraire de l'antiquité, un des nombreux
genres d'invention.
La critique du Nouveau Testament, comme
celle de l'Ancien a entraîné pour la théologie des
conséquences nombreuses et naturellement aussi
plus graves.
Observons tout d'abord qu'elle a confirmé
la conception de l'inspiration que nous avons
été contraints d'adopter d'après la composition
littéraire du Pentateuque et des autres livres
historiques de la Bible. Les théologiens, qui ont
abandonné, comme nous l'avons dit, l'ancienne
notion de l'inspiration verbale, s'y sont vus
obligés par la confrontation des Evangiles, com-
prenant qu'il est impossible que Dieu ait ins-
piré à plusieurs évangélistes de rapporter d'une
façon difïérente les paroles que le Christ n'a
72 LB PaOGtIAllUB bES HaDiaNISTN
prononcées qu'une seule fois et par conséquent
d'une seule manière, comme par exemple celle
de la Cène eucharistique. Mais nous remarquons
ici également qu'il ne s'agit pas d'une diversité
purement verbale. La différence seule du plus
ou du moins, qui est extrêmement fréquente
entre les Evangiles, est déjà une différence réelle;
mais bien souvent aussi une même parole du
Christ, en passant d'un Ëvangéliste à l'autre,
comme ledémoatrent le contexte et l'addition ou
le changement de quelques mots, est relatée dans
un tout autre sens. Un argument encore plus
décisif contre l'ancienne notion de l'inspiration
mécanique nous est fourni par cette observation
que les sources évangéliques ont non seulement
été mises à contribution par les Evangélistes
successifs, mais encore modifiées dans la dispo-
sition et les sujets traités. Si Dieu était l'auteur
direct des idées qu'il aurait ensuite communi-
quées aux Evangélistes, il faudrait dire que,
mécontent en quelque sorte de son premier
ouvrage, il l'a revu à plusieurs reprises, remanié
et corrigé comme un écrivain humain quelcon-
que. En outre le procédé même adopté par les
Evangélistes démontre qu'ils n'ont pas ci^ leurs
prédécesseurs inspirés, dems le sens ancien du
mot, autrement ils auraient scrupuleusement
respecté l'ordre, la matière et même les paroles
qu'ils leur empruntaient. Evidemment Saint
Luc dans son prologue ne se considère pas lui-
i:™,n:^i i„ Google
LK PSOORAMHE DES MODERNISTEa 73
même et ne regarde pas ceux qui l'ont précédé
comme étranger» aux fatigues de rédaction et
comme exempts de défauts. La composition
d'un Evangile suppose même la possibilité de
tentatives toujours nouvelles, puisque le sujet
est si élevé et qu'il est difRcile à n'importe quel
érangéliste de le traiter parfaitement.
En second lieu, dans le Nouveau Testament,
comme dans l'Ancien, nous ne possédons pas de
livres historiques au véritable sens du mot,
mais des histoires sacrées en grande partie déter-
minées par la foi pour le service de laquelle elles
ont été écrites. Les sources primitives acquièrent
dans les écrits successifs une plus grande exten-
sion, de nouvelles formes, un nouveau contenu ;
mais ce n'est pas cependant parce que les écri-
vains postérieurs ont fait de nouvelles recher-
ches et connu ainsi les faits avec une plus grande
exactitude, car s'il en était ainsi, les documents
les plus récents concorderaient mieux entre eux,
tandis qu'au contraire ils diffèrent de plus en
plus. Il est clair que les changements successifs
dépendent uniquement de la tendance religieuse
propre à chaque écrivain.
MaJs Ton objectera : Luc dès le début de son
travail déclare qu'il s'est proposé d'écrire dili-
genter, ex ordine. Nous répondons qu'il suffit de
comparer le troisième Evangile avec le deuxième
pour se rendre compte immédiatement de l'ordre
que Saint Luc a en vue. Il place au commence-
i,Coo^k'
74 LE PROGRAMME DES MODERNISTES
ment du ministère de Jésus la prédication à
Nazareth, puis la première journée de Caphar-
naum et ensuite la vocation des premiers disci-
ples. Marc, au contraire, qui place la prédica-
tion de Nazareth beaucoup plus tard, commence
par la vocation des disciples qu'il fait suivre
de la première journée à Capharnaum. La raison
pour laquelle Luc a changé l'ordre de Saint
Marc n'est évidemment pas une raison histori-
que. 11 laisse voir, lui aussi, au v. 23, qu'il sait
que la prédication à Nazareth est postérieure à
celle de Capharnaum, et au v. 38 que la première
journée de Capharnaum a été précédée de la
vocation des premiers disciples. Mais, malgré
cet ordre chronologique. Saint Luc a préféré
donner une autre succession des événements,
parce que dans les discours de Nazareth il voit
représentée la prédication du christiEimsme
parmi les Juifs et dans celui de Capharnaum
la prédication parmi les Gentils, et enfin la
pêche miraculeuse qu'il rattache au fait de la
vocation des apôtres, l'abondance du fruit de
la prédication apostolique succédant à celle de
Jésus. Par conséquent l'ordre suivi par Saint
Luc n'est pas déterminé par des motifs his-
toriques, mais par des raisons doctrinales et
allégoriques ; on en peut dire autant et même,
après la confrontation avec les autres Synop-
tiques, on doit le dire de VacrUiie (1) dont
(1) Or. àxpiôeia: n «oîd minutieux, ezMme >.
Coogic
LE PROGRAUMR DK3 U0t»EnN13TBB 75
Saint Luc fait profession dans son prologue.
Mais, dîra-t-on encore, Saint Luc entend ra-
conter l'histoire comme une démonstration de
la foi ut cognoscas eoram verborum de quitus
eruditas es ceritatem, et Saint Jean pareillement :
haec scripta sant ut credatis quia Jésus est Ckris-
tus filius Dei. L'histoire évangélique doit donc
être par sa nature matériellement exacte, autre-
ment elle n'aurait plus aucunevaleur démonstra-
tive. Mais, avant tout, il faut observer que les
Evangiles n'ont pas été écrits pour les infidèles
afin de les convertir à la foi, mais pour les cro-
yants, afin d'éclairer et de fortifier leur foi ;
si, à l'enseignement doctrinal ils ajoutent par-
fois l'apologie, ils le font d'une manière indirecte
pour prémunir les fidèles contre les attaques de
l'opposition juive. Pour qui examine attentive-
ment les Evangiles eux-mêmes, cela est évident,
mais nous en trouvons aussi une preuve dans le
prologue de Saint Luc, où celui-ci déclare racon-
ter des choses qui, selon l'expression grecque,
« ont obtenu parmi nous un plein contentement»,
à Théophile qui, ayant déjà eu de ces choses une
connaissance sommaire, ne demandait plus qu'à
mieux connaître leur véracité et leur solidité.
Assurément, pour pouvoir soutenir la foi des
fidèles, l'histoire évangélique doit être vraie et
réelle, fondée elle-même sur le témoignage de
ceux qui, « dès le commencement », ont su par
eux-mêmes et sont devenus ministres de la
I , Gi.>oglc
76 LE PRoanAuuE des hodernistbs
parole de Dieu ». Mais puisque dans ce cas la
foi n'a pas besoin d'être excitée pour la première
fois chez le lecteur, mais qu'elle est déjà active
et féconde, aussi bien chez celui-ci que chez
l'écrivain, elle réagit nécessairement à son tour
sur l'histoire, la transformant en partie pour en
faire l'expression plus efficace de l'objet de la
croyance. C'est ainsi que l'histoire évangéUque
est à la fois cause et effet, fondement et cou-
ronnement de la foi ; elle est le résultat de deux
tendances opposées, l'une sur la vérité maté-
rielle des faits, l'autre sur une vérité supérieure
qui dépasse l'exactitude historique. Les docu-
ments qui la composent constituent donc une
littérature spéciale du fait chrétien.
Nous trouvons un exemple analogue à la
méthode suivie par les Evangélistes dans l'in-
terprétation allégorique, très souvent employée
chez les anciens Hébreux, les Chrétiens des pre-
miers siècles et dans les Evangiles eux-mêmes,
d'après laquelle le rédacteur donne à un texte
ou à un fait de la Bible une signification supé-
rieure, conforme à sa propre foi, mais différente
et parfois même contraire au aena littéral. Dans
ce cas également, c'est la foi qui se construit à
elle-même un appui et qui se cherche une expH-
cation. L'Encyclique nie que par le moyen des
procédés et des méthodes de l'antiquité, pro-
duits par les besoins de la vie religieuse,on puisse
convenablement expliquer les faits que nous
D«,:^i i„ Google
LB P&OORAHMB DES UODERNISTES 77
avons constatés dans les Evangiles ; mais on ne
peut nier les faits, on peut seulement chercher
à les expliquer.
Ainsi, de la nature des Evangiles, telle que
nous la révèle la critique, il résulte qu'il faut
distinguer un ou deux éléments, l'un correspon-
dant à la réalité historique, l'autre à la vérité
siu'naturelle de la foi. Il n'est pas vrai que, par
une coupure arhitraire, nous divisions tous les
documents en deux parties, assignant l'une à
l'histoire réelle et l'autre à l'histoire interne ou
de la foi. Les deux éléments sont très souvent
tellement unis entre eux qu'on peut bien les
distinguer, mais non pas les séparer. Il est cer-
tain cependant qu'à la vérité de la foi ne
correspond pas toujours la réalité historique,
mais parfois la représentation historique seule-
ment. C'est pourquoi d'un bout à l'autre des
Evangiles la vérité de la foi domine toujours,
mais non pas toujours la réalité historique qui
varie dans les divers Evangiles ; considérable
dans Saint Marc, elle ne subsiste qu'à un degré
infime dans Saint Jean.
11 est faux surtout que nous ne concédions
à la vérité de la foi qu'une existence subjective
dans le croyant, comme semble nous le faire
dire l'Encyclique. Pour nous, la vérité de l'his-
toire est aussi grande que la vérité de la foi,
mais ces deux vérités appartiennent à deux
ordres différents, la vérité de l'histoire à l'ordre
D«,:^il,,G00^k'
78 LB PROOnAMHE DES UODERNtSTEB .
sensible et naturel, la véiité de la foi à l'ordre
Buprasensible et aurnaturel. C'est pour cela que
les deux vérités exigent aussi un ordre difTéreat
de connaissance ; la vérité historique peut être
constatée par le moyen de l'expérience sensible,
tandis que pour la connaissance de la foi, l'expé-
rience sensible, qui peut être un moyen utile, ne
suffît pas ; elle demande une lumière surnatu-
relle. Autrement la science historique et la foi
seraient une seule et même chose avec toutes
les conséquences absurdes qu'une telle identifi-
cation entraînerait. Tout cela est si évident que
l'on s'étonne vraiment de voir l'Encyclique
l'attaquer au point de nier que l'histoire s'oc-
cupe seulement des phénomènes et qu'elle rie
peut constater Dieu et l'intervention divine
dans les choses humaines. Cependant, même
dans l'histoire profane ne considère-t-on pas
comme n'appartenant au domaine de l'histoire
que les faits seulement, c'est-à-dire les phéno-
mènes et leurs causes prochaines ; c'est à une
science plus haute, la philosophie de l'histoire,
qu'incombe la tâche de rechercher leur nature
et leurs causes lointaines. Lors donc qu'il s'agit
d'histoire religieuse, on n'avait jamais cru jus-
qu'ici que ce fût le rôle de l'histoire proprement
dite qui nous révèle l'existence des faits, de
raisonner sur la valeur que ceux-ci peuvent avoir
par rapport à Dieu et à l'ordre surnaturel, mais
D«,:^il,,G00^k'
LE PROGRAMME 'dBS MODÊRKtSTBS 79
bien exclusivement celui delà théologie.c'est-à-
dire de la science de la foi.
Appliquons tout ceci à la distinction incrimi-
née entre le Christ de l'histoire et le Christ de la
foi. Le Christ est un par lui-même, mais il peut
être considéré comme objet de l'histoire et
comme objet de la foi. Comme homme, la per-
sonne de Jésus et ses actions extérieures étaient
connues par le moyen de l'expérience sensible
et en ce sens il appartient à l'histoire ; comme
Christ, c'est-à-dire en tant qu'uni à Dieu d'une
manière très particulière et en tant qu'intermé-
diaire entre Dieu et nous de la révélation et des
grâces divines, il ne peut être connu que par une
lumière spirituelle et divine, et en ce sens il
n'appartient pas à l'histoire, mais à la foi. Lors-
que Pierre, réfléchissant sur les œuvres et les
paroles de Jésus conclut qu'il était le Christ, le
Fils de Dieu, il mérita de s'entendre dire : caro
et sangais non revelavil tibi sed pater meus qui
in cœlis est ; ce qui, dans le quatrième Evangile
s'étend à tout croyant : nemo venil ad me nisi
Pater qui misit me iraxerit eum. C'est l'histoire
qui entend la révélation de' la chair et du sang,
la foi seule entend la révélation du Père,
Une autre raison de distinguer entre le Christ
de l'histoire et le Christ de la foi est que dans sa
vie on distingue réellement deux états bien
différents. Le premier état est celui de sa vie
mortelle dans lequel il s'est comporté avec les
: L.OO^k-
aO LB PROGRAMME DES MODERNISTES
bommes de la même manière sensible qu'un
homme avec ses semblables, et le second est
celui de sa vie glorieuse qui commence avec la
résurrection et dans lequel il continue à être en
communication avec nous, mais d'une manière
invisible et spirituelle. Dans celui-là il a ap
simplement comme un prophète qui a préparé
le Royaume de Dieu en excitant les hommes à
la pénitence et en leur enseignant, par ses paro-
les et ses exemples, à vivre d'une façon conforme
à la volonté de Dieu ; dans celui-ci, ressuscité
à une vie nouvelle et spirituelle, il noua commu-
nique son esprit, c'est-à-dire qu'il vit en nous
de sa vie propre, et non pas seulement en nous
pria individuellement, mais bien socialement
unis dans l'Eglise, nous initiant ainsi à la vie
plus haute qui est la vie future. Dans cette vie
du Christ en noua, vie intérieure par la commu-
nication de son Esprit et vie extérieure par
l'accompUssemeut de ses commandements, ré-
side toute l'essence du christianisme. Qu'on
lise les épltres de Saint Paul, encore toutes
palpitantes de l'exubérante vie chrétienne des
premiers temps et qu'on nous dise si elles con-
tiennent autre chose que cela, Même la distinc-
tion entre le Christ de l'histoire et le Christ de
la foi, qui a fait tant de bruit et causé tant de
scandale, a déjà été faite par Saint Paul, quoi-
que exprimée en des termes différents : le Christ
selon la chair et le Christ selon l'esprit. Qu'on
iM,,ur^i I,, Google
LG PttOOHAUHB DES HODEaNlSTES 81
veuille bien considérer par exemple attentive-
ment la définition qu'il donne de l'Evan^e dès
le début de i'épitre aux Romains : « L'Evangile
de Dieu, qui avait été promis auparavant de la
pîirt de Dieu par ses prophètes dans les Saintes
Ecritures et qui concerne son Fils, né de la pos-
térité de David selon la chair et déclaré Fils de
Dieu d'une manière puissante, selon l'esprit de
sainteté par aa résurrection d'entre les morts. »
A une manière d'être différente correspond
ici aussi une façon différente d'être connu : la
vie mortelle du Christ est objet de l'histoire,
parce qu'elle est sensible ; sa vie spirituelle dans
les fidèles et dans l'Eglise, du moins dans son
ensemble et dans sa nature intime, ne peut être
connue que par le moyen de la foi qui l'expéri-
mente. Mais cette seconde vie elle-même peut
être au moins représentée sous forme historique
et cela donne lieu, en certains cas, non seulement
à la distinction, mais à la séparation du Christ
de la foi du Christ de l'histoire. La vie surnatu-
relle du Christ dans l'Eglise s'est manifestée
aussi en conformité des circonstances extérieu-
res et ainsi elle a peu à peu donné naissance à
des institutions ecclésiastiques durables. Or les
Evangélistes, pour mieux marquer la dépen-
dance de ces institutions postérieures de l'Esprit
toujours vivant du Christ, les projettent dans
l'histoire même de Jésus mortel ; et en agissant
ainsi ils usent d'un droit plus certain encore que
i:™,i,.-Mi, Google
82 tx PRooaAUuB dbb nobaftHiaTsa
les écrivains du Pentateuque rapportant à Moise
l'origine de toutes les lois et institutions judaï-
ques. Cependant la critique aussi a le droit de
ne pas confondre ce qui est de l'histoire propre-
ment dite avec ce qui est une simple représen-
tation historique de faits surnaturels que la foi
fait provenir du Christ.
Pour opérer cette distinction ou réparation,
la critique ne se base nullement, comme on le
voudrait prétendre, sur un principe a priori,
sur la double théorie de la transfiguration et de
la déformation, mais comme toujours sur l'exa-
men des textes et des faits. Prenons pour exem-
ple l'institution de l'Eglise libre et universelle,
c'est-à-dire détachée des liens de la Loi et de la
nationalité juive. Une telle Eglise s'est consti-
tuée elle-même après la résurrection du Christ ;
si elle avait été instituée immédiatement par
Jésus durant sa vie terrestre ou même aussitôt
après sa résurrection, on ne s'exphquerait pas
la manière d'agir des apôtres, demeurés pendant
longtemps attachés à la Synagogue. La grande
lutte soutenue par Saint Paul contre les Judéo-
Chrétiens, tout au moins sans l'appui des pre-
miers apôtreSjpour revendiquer au christianisme
l'universalité et l'indépendance vis à vis du
Judaïsme, présenterait alors une énigme indé-
chiffrable. Paul a été, à cause de cela, celui qui
a le plus contribué à la constitution de l'Eglise
catholique. Cependant les Evangélistea tendent
, L.oo^k-
Le PnOGHAMMB DES UObEBNlSTGg 83
plus ou moins et de différentes façons & reporter
la fondation de l'Eglise au Christ historique.
Cette tendance s'accuse légèrement dans Saint
Marc, mais très distinctement dans Saint Luc et
plus encore dans Saint Mathieu qui place l'ins-
titution de l'Eglise dans la bouche du Christ
ressuscité et fait prédire par le Christ, durant
sa vie mortelle, l'universalité et l' organisation
extérieure de cette même Eglise sur le modèle
de l'Eglise juive. Mais ce procédé atteint tout
son développement dans Saint Jean où le Chris-
tianisme devient une religion universelle par sa
nature, un culte en esprit et en vérité, pendant
la vie mortelle de Jésus, déjà parfaitement dis-
tinct et séparé du judaïsme. Dans le quatrième
Evangile, nous trouvons déjà formellement
relatés, voire même surpassés, les résultats que
Saint Paul n'a pourtant obtenus qu'après une
longue et pénible lutte.
De même que la vie surnaturelle du Christ
dans les fidèles et dans l'Eglise a été revêtue
d'une forme historique qui a donné naissance
au Christ que nous pourrions appeler, quoique
d'un mot inexact, le Christ de la légende, de
même aussi cette vie a été assujettie à une éla-
boration ou exphcation doctrinale qui a créé le
Christ de la théologie ou de la dogmatique. Le
Christ nous communique l'Esprit et avec lui la
vie divine ; il est le médiateur entre nous et Dieu,
Quels sont donc les liens qui l'unissent à Dieu,
L«..,..,Cot>glc
84 LE PBOGHAHUB DES UODBRIdtSTES
comment possède-t-il l'esprit divin qu'il nous
participe ? Tel est le problème fondamental
d'où est sortie toute la doctrine chrétienne. Au
commencement, on a cherché l'explication dans
la notion du Messie juif, corrigée cependant par
les faits de l'histoire chrétienne ; le Messie ne
devait pas être «n roi terrestre, comme les Juifs
se l'imaginaient, mais un roi céleste entré dans
aa gloire par le moyen de sa passion. C'est dans
sa résurrection qu'il a reçu l'Esprit et qu'il est
devenu le Christ selon l'Esprit. Cette conception
est celle qu'exprime Saint Pierre dans les Actes
des Apôtres le jour de la Pentecôte et qui anime
encore la narration que l'on retrouve au fond
des Synoptiques ; là pourtant Jésus reçoit
l'esprit même avant sa résurrection, en Saint
Marc avant de commencer son ministère dans
le baptême, en Saint Mathieu et Saint Luc au
moment même de sa conception, bien que la
descente de l'esprit lors du baptême y soit
conservée également. Dans la théologie de Saint
Paul, nous trouvons déjà attribuée au Christ
une existence céleste antérieure à sa vie terrestre
lorsqu'il est dit qu'avant même la création du
monde, il était l'homme céleste ou en forme de
Dieu et Fils de Dieu par conséquent, idée cor-
respondant à celle du Fils de l'homme qui se
rencontre dans quelques apocalypses juives.
Dans les Synoptiques, nous trouvons, attribué
aussi dans ce sens au Christ, le titre de Fila de
D,<,,r,:^i t, Google
ta PROGRAMME DBS tlODBRNiSTBB 85
Dieu, cette nouvelle notion venant ainsi se sura-
jouter à l'idée messianique. Dans le quatrième
Evangile et dans l'Epitre aux Hébreux, on fait
un pas de plus en avant : le Fils de Dieu préexis-
tant à son apparition terrestre se trouve identifié
avec le Verbe de Dieu, selon l'expression de Phi-
Ion: second Dieu ; selon Saint Jean: fils unique
de Dieu; et d'après l'épitre aux Hébreux:reflet
de la gloire de Dieu et empreinte de sa personne.
Dans l'Evangile de Saint Jean, le Christ est
donc Esprit par sa nature et par conséquent non
seulement on ne fait pas mention de sa concep-
tion par l'opération de l'Esprit, mais même
dans le baptême la venue de l'Esprit est consi-
dérée simplement comme un signe pour indi-
quer à Jean Baptiste que, contrairement à son
baptême d'eau, Jésus est celui qui baptise dans
l'Esprit Saint,
Toutes ces diverses conceptions qui se succè-
dent et parfois se superposent l'une à l'autre
ont été évidemment imaginées pour expliquer
le fait, dont la foi chrétienne a une expérience
continuelle et toujours nouvelle, que ie Christ
vit en nous et que c'est lui qui baptise dans le
Saint Esprit. Ce fait suppose une commu-
nion intime et particulière avec Dieu par laquelle
Jésus est rendu capable de nous communiquer,
à nous aussi, Dieu et son Esprit ; communion
si exceptionnelle qu'elle surpasse notre imagi-
nation et notre intelligence et qu'elle ne saurait
: L.OOgW
m Ll PROORAHUt bS8 UODBtll«IBTBa
ainsi jamais être épuisée par les explications
théologiques, quelque élevées qu'elles soient.
C'est pour cela que, dès le début du christia-
nisme, on a été libre d'aider la foi au moyen
d'explications variées répondant aux divers
degrés de culture des fidèles. Tout l'intérêt se
trouvait dans la réalité expérimentée par la foi ;
ses explications et ses spéculations y relatives
n'avaient de valeur qu'autant qu'elles servaient
à mieux faire comprendre et à vivre la réalité
de la foi. Qu'on observe, par exemple, Saint
Paul : bien qu'il eût une théologie à lui, fort
compliquée et ingénieuse, il protestait de ne
vouloir savoir autre chose que Jésus crucifié,
c'est-à-dire l'efficacité vitale de la mort et de la
résurrection du Christ ; il ne méprisait point la
science ; il en faisait même également usage,
mais il ne lui attribuait qu'une valeur relative
et non absolue:
On eut donc, au début, la foi intensément
vécue et non pas des doctrines spéculatives
strictement définies, les dogmes. Les définitions
commencèrent lorsque les spéculations au sujet
de la personne du Christ allèrent trop loin, pour
employer un mot de la seconde épitre de Saint
Jean, de façon 6 la réduire à être purement
idéale et k détruire le Christ historique ; elles ont
donc été formées dans un but plutôt négatif que
positif, pour empêcher que l'on ne dépassât les
justes limites imposées en même temps par la
D«,:^i 1„ Google
LE PttoORAJiMË DES Modernistes 87
foi et par l'histoire. C'est contre les Gnostiques,
en tant qu'ils niaient la réalité de l'humanité du
Christ qu'ont été dirigés en grande partie, les
livres du Nouveau Testament, en particulier les
épltres catholiques et pastorales. Leur science
est traitée de fausse science, ils sont qualifiés
de vains hâbleurs, de séducteurs et autres noms
semblables que l'on nous applique volontiers à
nous-mêmes.
Et cependant nous sommes bien loin de sui-
vre les traces et les méthodes du Gnosticisme ;
nous voulons, au contraire, non seulement que
l'on ne dépasse pas les justes limites dans la
spéculation, mais aux spéculations elles-mêmes
définies comme légitimes, tout en leur accordant
le respect qui leur est dû, nous n'entendons
attribuer pourtant qu'une valeur relative. Ce
n'est pas de la spéculation théologiqoe en elle-
même, mais du Christ, dont cette spéculation
peut nous aider à comprendre la personnalité
et la valeur, que nous attendons la vie. En lui,
par le moyen de l'histoire, nous reconnaissons
l'homme qui a parlé et agi pour notre enseigne-
ment ; et par la foi, le sauveur qui, par sa mort
et sa résurrection, nous a donné une vie nou-
velle. Ainsi, dans les Evangiles, avec l'œil de la
critique, nous découvrons le Christ historique,
mais non pas partout ; nous savons bien distin-
guer le Christ de l'histoire du Christ de la légende .
et de la théologie. Mais avec l'œil de la foi, soit
: L.oo^lc
«8 Lfi PROâRÀMHB DBS IMDEllIflSTBâ
80U3 le Christ de l'histoire, soit sous celui de la
légende et de la théologie, nous voyons partout
le Christ selon l'esprit dont les Evangélistes, en
composant leurs livres, ont exclusivement cher-
ché & répandre la connaissance, comme étant
celle qui, seule, sert à notre salut.
D«,:^i i„ Google
CHAPITRE IV
La critique et Vévolution du Christianisme.
Appliquées à l'histoire du Chriatianiame, les
méthodes de la critique historique ont conduit
à des résultats non moins décisifs. Les apologis-
tes traditionnels étaient habitués à considérer
l'Eglise comme une institution vivant en dehors
de tout contact avec le monde moral et politique
environnant, qui aurait grandi et se serait orga-
nisée selon des lois particulières de développe-
ment, lois qui ne sont pas susceptibles de véri-
fication directe, étant en grande partie miracu-
leuses. La vieille conception qui avait présidé
autrefois à ta compilation de la grande histoire
eusébienne, celle de l'Eglise, œuvre du Logos,
domaine fermé à l'action des lois qui régissent
l'évolution des collectivités humaines, a été
pendant de longs siècles le postulat de l'histoire
catholique. Une prévention de ce genre, jointe
à l'idée d'une révélation qui aurait été avant
tout la communication de vérités abstraites
immuables, aboutissait à un autre préjugé en
fait d'histoire chrétienne ; le préjugé que les
vérités dogmatiques, entrées peu à peu dans le
patrimoine intellectuel de la foi, et les formes
I , Google
90 ' LE PROORAUUB DES UODERNIBTBS
extérieures prises progreBsivement par l'oi^a-
nisation des fidèles, auraient existé dès le com-
mencement, ne serait-ce qu'implicitement, dans
la prédication de Jésus, dans la foi des premiers
chrétiens, dans l'enseignement des Pères. La
critique historique a débarrassé inexoretble-
ment notre esprit de ces idées préconçues. Le
christianisme, pour la critique, est un fait
comme tous les autres, soumis aux mêmes lois
de développement, influencé par les mêmes
causes politiques, juridiques et économiques,
susceptible des mêmes variations. Sa nature de
fait rehgieux ne lui ôte pas ses autres qualités
communes à tout événement historique où
s'exprime l'activité spirituelle des hommes.
La critique a donc étudié sans prévention,
dans toutes ses circonstances extérieures, l'ori-
gine du fait chrétien et sa propagation dans le
monde. En examinant et en comparant les
documents du Nouveau Testament, en considé-
rant le temps où ils ont été écrits et les inten-
tions pratiques auxquelles ont obéi leurs compi-
lateurs respectifs, elle s'est rendu compte,
comme nous l'avons vu, d'une manière indiscu-
table, que leur narration se ressent de l'élabora-
tion qui s'est accomplie, relativement à la figure
et à la prédication du Christ, dans la conscience
religieuse de deux ou trois générations de fidèles.
Et alors, s'étant mise à rechercher à travers ces
revêtements successifs déposés par la réQexion
D«,:^i 1„ Google
LB PBOGRAUUB DBa UODBBNISTES 91
de consciences exaltées, la parole authentique
du Maitre et le motif familier de ses discours,
elle a dû conclure que l'Evangile de Jésus a été
une annonce persistante et passionnée du
Royaume de Dieu imminent, dépouillée de toute
scone d'eschatologie matérialiste et basée sur
une chaleureuse et impérieuse invitation à la
purification intérieure. Tout le surplus, c'est-à-
dire les affirmations particulières sur les rapporta
personnels entre le Christ et le Père, en tant
qu'elles ne rentrent pas dans l'ancienne identi-
fication du Messie avec le Fila de Dieu, la con-
ception toujours plus intérieure et morale du
règne messianique, les idées spéciales sur la
société des fidèles, équivalent terrestre du royau-
me, représente l'expression d'idées nouvelles que
l'expérience du christianisme avait suscitées,
surtout chez les plus intellectuels et les plus
cultivés parmi les disciples de l'Evangile, et tout
particuhèrement chez Saint Paul. Une sembla-
ble conclusion critftjue sur la substance histori-
que de la prédication de Jésus ébmine toute pos-
sibilité de retrouver en elle, même à l'état em-
bryonnaire, l'enseignement théologique distri-
bué plus tard dans l'Eglise. Pareillement, l'étude
sereine de la tradition patristique, précédée
d'une recherche attentive de l'authenticité des
œuvres sur lesquelles elle repose, et accompa-
gnée d'une préoccupation constante de ne pas
lire les anciens témoignages religieux avec la
i,Coo^k'
92 LE PROORAHUB DEB HODEBNtSTES
mentalité des écrivains postérieurs, a démontré
également combien vaine est la prétention de
vouloir retrouver en elle les lignes fondamentales
de la foi catholique, telle qu'elle a été systéma-
tisée par les docteurs scolastiques ou déSnie par
les Pères du Concile de Trente. Elle a fait voir
qu'il faut plutôt constater, sans prévention,
l'évolution progressive de la doctrine catholique
née du besoin profond d'offrir, au moyen d'idées
réfléchies, un soutien naturel à l'expérience reli-
gieuse qui, suscitée par la prédication du Christ,
s'est conservée substantiellement égale à elle-
même à travers toute sa longue histoire.
Une antique légende, recueillie par Hufîn au
IV' siècle, raconte qu'après l'ascension du Sei-
gneur « les apôtres reçurent l'ordre de se séparer
et de se disperser dans tous les pays pour prê-
cher la parole de Dieu. Avant de se séparer, ils
établirent en commun une règle de prédication
afin qu'ils ne fussent pas exposés à enseigner
une doctrine différente. Remplis du Saint Esprit,
ils composèrent le Symbole » (1). Ainsi, dès le
IV^ siècle, s'est accréditée la croyance que les
principaux dogmes du christianisme ont été
fonnulés par les apôtres, tout pénétrés encore
de l'enseignement du Maître et comblés de
l'Esprit de Dieu. La critique moderne, non seu-
lement a prouvé la fausseté de la légende, mais
(1) Rufin, Com. in Symb.
i,Coo^k'
LB PBOGRAHHE DES HODERNISTEB 93
elle a positivement cherché à démontrer de fait
combien il est arbitraire et aprioristique de
croire que les dogmes de la foi remontent, dans
leur expression, à l'enseignement primitif de
Jésus et de ses disciples immédiats. Chaque
jour nous parvenons à mieux signaler, à travers
l'analyse critique des documents, l'évolution
lente et parfois imperceptible, parcourue depuis
l'expérience psychologique du christianisme,
jusqu'aux fonnes réfléchies de la dogmatique.
Cette évolution, nous le voyons, a sa source dans
le besoin de trouver des formules théologiques
d'où l'on puisse tirer un aliment et une direc-
tion pour le sentiment religieux initial inculqué
par l'Evangile, qui n'est autre que l'attente d'un
meilleur règne de justice terrestre et céleste, la
solidarité des âmes vis à vis du bien commun,
la confiance dans le Père.
L'Encyclique, il est vrai, reproche à notre cri-
tique de partir de la supposition m que tout ce
qui est dans l'histoire de l'Eghse doit s'expliquer
par l'immanence vitale ; que nul fait n'anticipe
sur le besoin correspondant et qu'historique-
ment il ne peut que lui être postérieur » (1).
Mais ici il nous semble bien que l'Encyclique
nous reproche une assertion dont la négation
est tout simplement un contresens historique
et une erreur théologique. De fait, nous l'avons
(1) Histoire et critique du moderoisme, g IV.
i,Coo^k'
94 LE FROORAUHR DEB MODERNISTES
déjà dit, l'histoire de l'Eglise, en tant qu'elle
est l'histoire d'un organisme vivant, n'a pas des
lois de développement diftérentes de celles qui
gouvernent les autres institutions sociales. Or
c'est une loi élémentaire de la vie, dans chacune
de ses manifestations, que tout oi^ane réponde
à un besoin vital et que toute dépense d'éner^e
soit déterminée par une exigence profonde du
sujet. Il nous parait de plus très incorrect, théo-
lo^quement, de supposer que l'histoire ecclé-
siastique soit le triomphe du caprice et de l'arbi-
traire et de nous reprocher, à nous, une concep-
tion orthodoxe s'il en lût jamais, à savoir celle
d'une providence divine qui ne tolère rien de
superflu dans son empire et qui veille à ce que
le cours des événements dans l'Eglise et l'évo-
lution des idées religieuses s'efîectuent selon les
exigences variables, mais normales des fidèles.
Ce ne sont pas là non plus des jugements aprio-
riques qui altèrent les procédés tranquille des
la recherche historique. L'historien ne sort pas
du cadre de ses études en s'efforçant de décou-
vrir les raisons immanentes des faits, en recher-
chant les exigences impalpables, mais réelles,
qui ont amené logiquement les événements en-
registrés par les documents qu'il utilise. Une
science historique qui néglige cette tâche fonda-
mentale ne mérite même pas ce nom.
Les conclusions d'une telle méthode appliquée
à l'histoire du christianisme ont été d'un effet
■D«,:^il„ Google
LE PBOQBilliMB DBS UODBftNISTBS 95
désastreux pour les vieilles positions de Teosei-
gnement théologique. Au lieu de découvrir aux
origines, même en germe, les aflirmatious dog-
matiques formulées au cours des siècles par
l'autorité de l'Eglise, nous avons trouvé une
forme religieuse qui, vague, imprécise à ses
débuts, a évolué lentement vers des formes con-
crètes de pensée et de rite par suite des exi-
gences de la collectivité pour se comprendre,
par la nécessité d'exprimer d'une manière
abstraite les principes qui devaient façonner
l'activité religieuse des fidèles, par l'effort des
premiers chrétiens, par les répercussions de la
lutte contre le hérétiques. Le message évangé-
lique n'aurait pu vivre et se répandre dans sa
simplicité spirituelle. Quand il franchit les fron-
tières de la Palestine et apparut capable d'uni-
versalité, il dut, pour pouvoir provoquer dans
les esprits une expérience rehgieuse identique,
détachement de l'égoïsme sous toutes ses for-
mes, purification intérieure, espoir d'une juste
rétribution ultra-terrestre, adhésion au Christ,
Messie et Rédempteur, il dut, disona-nous,
s'adapter à leur mentalité et présenter la figure
du Christ, messager de la rédemption, sous un
vêtement différent de celui qu'elle avait pris
dans le milieu juif et dans la tradition populaire
du prophétisme. Comme toute prédication reli-
gieuse, merveilleusement souple dans sa simpli-
cité psychologique, le christianisme primitif s'est
i,Coo^k'
96 LS PROGR&MUB DBS UODBRNISTBS
répandu dans le monde romain, c'eat-à-dire dans
lea pays voisins du bassin de la Méditerranée,
en s'adaptant à la mentalité et à l'éducation
spirituelle de chaque ré^on et en s'assimîlant
dans chacune d'elles les meilleurs éléments pour
son propre développement ultérieur. Cette œu-
vre d'adaptation, accompagnée de la transfor-
mation spontanée à laquelle fut soumis le mes-
sage évangélique, lorsque l'on constata le retard
toujours plus inexplicable du triomphe eschato-
logique que le Christ avait prédit comme immi-
nent, s'accomplit dans une période de temps
relativement courte et elle put, en raison de
l'influence exercée par un penseur rebgieux dis-
tingué comme Paul, se refléter aussi sur les
récits de la vie de Jésus qui cessèrent bientôt
de n'être que des narrations historiques, pour
devenir de véritables expositions doctrinales et
parénétiques. Une semblable élaboration s'exer-
ça tout d'abord sur les dogmes qui sont devenus
plus tard fondamentaux dans le catholicisme,
le dogme trinitaire, le dogme christologique et
l'organisation de l'Eglise. Celle-ci, étrangère à
la vision parousiaque du Christ, s'était formée
naturellement parmi ses disciples et des formes
pneumatiques qui, à cause de la diflusion des
dons spirituels, avaient prévalu à l'origine, elle
devait passer bien vite aux formes schématiques
de la hiérarchie monarchique.
En ce qui concerne la dogmatique trinitaire
i,Coo^k'
Le PROGIIAUMB DES MODEaNiSTES !)1
et chrisiologique, la critique récente a signalé
les diverses étapes qu'elle a traversées avant
d'aboutir aux brillantes affirmations du Concile
de Nicée. L'élévation progressive de la figure du
Christ dans les pensées comme dans l'affection
de ses disciples ; les formules variées, créées
pour exprimer sa dignité surnaturelle d'après
le langage philosophique et théologique des
diverses populations converties, et combinées
avecl'élaboration subie par certaines conceptions
hébraïques revues et universalisées par Paul,
ont provoqué un rapide développement des élé-
ments intellectuels qui existaient à l'état latent,
dans le mouvement spirituel propagé par le
message évangéhque. Les Actes, se faisant
l'écho de l'enseignement chrétien primitif, indi-
quaient Jésus « comme un liomme à qui Dieu
a rendu témoignage par les miracles, les prodi-
ges et les signes qu'il a opérés parlui 11 (Actes II,
22). 11 est le Messie à qui la mort ignominieuse
a conféré la gloire céleste et qui doit revenir
pour inaugurer son règne. Telle est la foi ingé-
nue et intense des premiers disciples. Mais le
Christ a appelé les membres de la famille hu-
maine enfants de Dieu et il s'est offert comme
leur modèle ; il est donc le fils de Dieu par excel-
lence d'après la synonymie étabUe par la tradi-
tion prophétique, entre cet appellatif et les qua-
Utés messianiques.
A côté de cette élaboration profonde sur les
e.oogk-
98 LE PROOnXUUS DE9 HObERNtSTlS
simples données relatives à la personne de
Jésus, s'est développée une autre idée, celle de
l'Esprit. Comme il arrive à l'ordinaire aux
débuts de toute religion qui se propage, des
phénomènes extraordinaires, de vives manifes-
tations d'une énergie surnaturelle se produi-
saient dans les petites communautés surexcitées
par l'attente de la palingénèse. Pour des hom-
mes nourris de lectures et de souvenirs bibliques,
cette énergie, cette puissance fut spontanément
identifiée avec l'esprit de lahve, auquel l'Ancien
Testament a attribué ordinairement les actes
qui surpassaient d'une manière quelconque les
facultés normales de l'humanité. Une corréla-
tion naturelle s'établit alors entre le Père, à qui
s'adresse la piété filiale des fidèles, le Fils, qui
est le dispensateur de la vie et l'Esprit, de qui
procèdent les manifestations les plus saillantes
de la nouvelle foi. Et puisque c'est dans le bap-
tême que se révèlent le effets surprenants et
mystérieux de la conversion, on formula, pour la
première fois, dans ce rite d'initiation chrétienne,
l'invocation de la Triade, invocation encore
ignorée de Saint Paul. Du baptême, la formule
trinitaire passa, comme en témoigne Saint Jus-
tin, dans la litui^e. (t)
Sur ces données élémentaires, expression en-
core timide et incertaine de ce que l'expérience
(l)C(: A. Dupin. Le dogme de la TriniU dans les trois
premiers sUcles. Paris, E. Noorry. 1907, ln-1!.
; L.oo'^k'
LE PndCaAHME t>B8 HObBANISTEB 99
religieuse chrétienne renfermait en elle d'intel-
lectuel et de dogmatique, un remarquable tra-
vail théologique commença à s'accomplir dont
nous pouvons aisément suivre les prémisses et
le développement. Saint Paul, par sa spéculation
sur la préexistence du Christ, sur Tidentilication
de celui-ci avec l'Esprit, sur les efleta de ce
même Esprit, qui ne provoque pas seulement
comme l'esprit de lahve un enrichissement des
énergies matérielles de l'homme, mais qui trans-
forme la vie humaine intérieure et l'élève à une
plus noble manière d'être et d'agir, avait déjà
tracé les linéaments de ce travail de réflexion
qui devait amener à préciser catégoriquement
les rapports existant entre les réalités d'où la
vie religieuse du chrétien tirait son aliment.
Mais le point culminant de cette élaboration est
marqué par la traduction qui se fit de la notion
hébraïque du Messie en celle du Logos, d'origine
platonicienne ; par l'identification du Christ, tel
qu'il était apparu aux âmes qui attendaient
anxieusement la rédemption d'Israël, avec la
notion abstraite, germée sur le sol hellénique, de
l'intermédiaire cosmique entre l'Etre suprême
et le monde ; par la transcription, pourrions-
nous dire, de la valeur morale et religieuse inhé-
rente à une conception hébraïque, mais intelli-
gible dans le monde gréco-romain, en langage
alexandrin, tout en conservant la même valeur
éthique et religieuse. Pour nous aujourd'hui, le
lGoo'^Ic
fôO Lfe PttOdHAMUE bES MttDEtlNlâTES
chemin parcouru par cette rapide évolution
d'idées nous apparaît comme un schéma froid,
presque apriorique. En réalité, cette évolution
du sentiment chrétien vers la définition réfléchie
qu'il dut donner de lui-même constitua le labeur
de nombreuses consciences qui vivaient leur
foi.
A son tour, la doctrine christologique, si inti-
mement hée à la croyance trinitaire, atteignait,
en même temps que celle-ci, un remarquable
développement : la notion messianique du des-
cendant de David et l'autre notion apocalypti-
que de celui qui doit apparaître miraculeuse-
ment sur les nuées du ciel, s'étaient identifiées
dans la personne du Christ, et l'appellation de
Fils de Dieu, synonyme de Messie dans le lan-
gage hébraïque, en passant dans le milieu grec
si accoutumé à concevoir des relations mysté-
rieuses entre la Divinité et les héros, avait ou-
vert la voie à l'idée de rapports extrêmement
particuliers entre le Père et le Christ, jusqu'à
l'identification de la nature.
Enfin, pour ce qui regarde l'organisation des
communautés chrétiennes, celles-ci, en emprun-
tant à la synagogue et aux associations hellé-
niques des titres et des fonctions, s'étaient
acheminées, dès le commencement du deuxième
siècle, vers les formes de l'épiscopat monarchi-
que.
Le spectacle d'une si intense évolution, opé-
D«,:^i i„ Google
LE PROOttAMMB DBS MODERNISTES 101
rée dans le sein des communautés, alors que
l'empire entravait si violemment la diffusion de
l'Evangile, est une caractéristique admirable de
l'histoire chrétienne primitive. Non seulement
la persécution fut impuissante à étouffer la
religion naissante, mais elle ne peut pas davan-
tage arrêter ce mouvement salutaire par lequel
l'expérience religieuse, suscitée parmi les hom-
mes par l'apparition du Christ, chercha sans
retard à tirer de-son propre fond un formulaire
dogmatique et une organisation autoritaire per-
mettant à la nouvelle conscience chrétienne de
s'alimenter et de se défendre, et à l'Eglise de se
présenter aux hommes comme capable de les
guider, avec un credo et un gouvernement, à la
conquête d'une plus haute existence spirituelle.
Lorsque la dernière persécution s'éteignit dans
un insuccès retentissant, et que l'habile Cons-
tantin comprit la nécessité de se mettre à la
remorque du christianisme en l'élevant jusqu'au
trône, l'Eglise était préparée à cette première
revue solennelle de ses forces matérielles et
morales qui fut faite à Nicée. Le dogme trini-
taire fut solennellement défini avec la consubs-
tantialité du Verbe avec le Père ; c'est à Nicée
que furent définitivement posées les bases sur
lesquelles s'édifia dans les siècles postérieurs le
monument de la pensée orthodoxe.
Les luttes théologiques recommencèrent ce-
pendant presque aussitôt et cette fois elles
lGoo'^Ic
lOZ LK proghaiuii bss MODBRNIBTIB
furent principalement christologiques. A Texcep-
tion de la courte controverse macédonienne sur
tes rapports de l'Esprit Saint avec les autres
personnes divines, controverse terminée à Cons-
tantinople, les discussions portent sur le pro-
blème des rapports entre les deux éléments
humain et divin, qui se fondent dans la personne
du Christ. On ne peut qu'admirer avec quel soin
jaloux la conscience chrétienne veilla à ce que,
dans cette recherche d'une formule pour expri-
mer un fait qui est en dehors des capacités habi-
tuelles de la raison humaine, on n'en vint, en
aucune façon, à sacrifier l'expérience religieuse
du Christ vivant dans les âmes, ni à déprécier
la valeur de sa rédemption. Le nestorianisme,
avec la distinction précise des deux personnes
humaine et divine dans le Christ, arrivait à
diminuer implicitement la valeur infinie de ses
actes : le concile d'Ephèse le condamne. Enti-
chés tombe dans l'excès contraire en maintenant
l'unité personnelle du Christ, il ne distingue
plus les natures ; il éloigne ainsi la figure gran-
diose du Rédempteur des rangs de l'humanité
en la rendant complètement étrangère à l'exis-
tence terrestre des enfants d'Adam : le Concile
de Calcédoine le condamne. C'est ainsi que s'est
constitué, entre des excès opposés, le dogme
cathoiique, expression intellectuelle d'un besoin
profond de la conscience chrétienne désireuse
de trouver à la fois dans son Christ l'homme qui
D«,:^i i„ Google
LB PROÛRAHMÏ DES MODERNISTES l03
a souffert pour elle et le Dieu qui, pour elle, a
mérité.
Mais l'Eglise, amenée par les événements his-
toriques à la fonction politique de modératrice
et de guide parmi les populations d'Occident,
étrangement mélangées après l'invasion bar-
bare, sent naître en elle de nouvelles nécessités
de propagande et de gouvernement. La lutte
contre le monotélisme, dernière réapparition
dissimulée du monophysisme, n'est qu'un épi-
sode secondaire et d'un caractère tout oriental,
en face du problème très grave qui s'impose à
l'Eglise au milieu d'une société tombée intellec-
tuellement dans un nihilisme désolant et qui
attendait d'elle non seulement l'enseignement
religieux, mais encore la première culture phi-
losophique et scientifique. Le terrain des luttes
intellectuelles n'est plus désormais la théologie
proprement dite, mais la philosophie, ou mieux,
l'apologétique philosophique. Au Moyen-Age,
dans une société qu'elle modèle de ses propres
mains et pénètre de son esprit, l'œuvre urgente
pour l'Eglise est de créer ou d'adopter une phi-
losophie qui, ne répugnant pas au dogme, puisse
servir de préparation à celui-ci et d'instrument
de discipline pour les intelligences et par suite
pour les consciences dans toutes les manifesta-
tions de la vie. Voilà pourquoi dès le début des
disputes philosophiques du Moyen-Age, l'Eglise
tourne sa sympathie vers la logique réaliste.
: L.OO^k-
LB PHOGRAMHe DBS
tout en repoussant la métaphysique d'Aristote,
parce qu'dle représente la formule la plus effi-
cace d'attitude spirituelle en face de la réalité,
en harmonie avec les exigences d'une concep-
tion absolutiste de la religion et avec celles d'un
exercice théocratique du pouvoir politique et
moral. La critique moderne a cherché, par des
travaux encore inachevés, à évoquer dans le
passé les diverses tentatives qui ont été faites
avant d'arriver à la fusion d'aristotélisme et de
dogmatique chrétienne qui caractérise l'âge d'or
de la scolastique. Le problème des universels,
contenu dans un texte de Porphyre transmis
par Boëce, se présenta comme le noyau de la
recherche philosophique. Dans le écoles carlo-
vingiennes s'accomplirent tes premiers essais
d'apiHogétique philosophique, mids avec un
résultat contraire à celui que l'Eghse pouvait
désirer. Scot Engène est un penseur solitaire
trop saturé d'individualisme mystique pour pou-
voir fournir à la société qui se groupe sous la
protection de la papauté et de l'empire, les for-
mules impersonnelles et absolues d'une méta-
physique apaisante. Mais la tentative qui a
échoué une fois est reprise avec le courage que
donnent les exigences renaissantes du temps.
Que d'essaisinfructueux encore avantd'atteindrc
l'harmonie désirée ! Le nominalisme de Rosce-
lin, te conceptualisme d'Abélard, le réalisme de
Saint Bernard, l'intuitionnisme de l'école de
D«,:^i 1„ Google
LB PROGRAHHB I
Saint Victor, représentent autant de courants
qui cherchaient à triompher dans un conilit
d'idées reflétant à son tour les conflits réels qui
déchiraient la société prise entre les prétentions
de l'empire et celles de la papauté. Enfin, avec
la grande théocratie papale, fruit de plusieurs
siècles de travail politique, coïncide chronolo-
giquement l'œuvre grandiose de la scolastique,
dans laquelle la philosophie et le dogme paru-
rent trouver leur équilibre et à laquelle semble
dévolue la mission de resserrer les âmes dans
les tiens d'une métaphysique qui était, en réalité,
le meilleur instrument de domination morale
que le Moyen-Age d'Innocent III pût désirer.
Du fait que la scolastique est née des exigen-
ces pratiques du moment, c'est-à-dire du besoin
d'offrir une synthèse de philosophie et de reli-
gion qui lifit les esprits dans une attitude d'hum-
ble soumission logique et éthique, la critique
tire le principal argument pour l'insufOsance
historique dont la scolastique a fait preuve. Tou-
tes les œuvres patristiques, toutes les expres-
sions de l'expérience chrétienne des siècles an-
térieui^ sont ulilisées par les docteurs scolasti-
ques en tant qu'elles peuvent servir d'appui à
leurs positions intellectuelles ; mais chez ces
mêmes docteurs on ne trouve aucune recherche
impartiale de ce qui avait été le fait chrétien
primitif, aucune acceptation docile des données
authentiques de la tradition patristique, lors-
I, Google
106 LE PROORAIIUE DES 1I0DEBNIBTK8
qu'elles contrastaient avec leur propre attitude
ariatotélicienne. La scolastique est précisément
l'expression intellectuelle de l'expérience chré-
tienne vécue de nouveau selon les exigences
spirituelles du bas Moyen-Age. Et c'est la rtù-
son pour laquelle la papauté s'est attachée à
elle avec une opiniâtreté digne d'une meilleure
cause, jusqu'à la canonisation qui en a été faite
à Trente ; elle a senti instinctivement dans la
scolastique l'apologétique la plus active, quoi-
que mieux déguisée, de cette période de temps
durant laquelle elle a resplendi dans la pléni-
tude de son autorité, irrémédiablement perdue
depuis. De nos jours encore on voudrait la réha-
biliter. Mais comment est-il possible d'effectuer
cette revendication, aujourd'hui que la critique
a reconstruit, sans aucune préoccupation, l'évo-
lution du fait chrétien dans tous ses états succes-
sifs et sous toutes ses diverses formes ? La cri-
tique nous a démontré comment la dogmatique
catholique est née tout entière du besoin de
mettre constamment en harmonie l'expérience
de la foi avec la mentalité du temps, l'esprit reli-
gieux immuable avec les expressions de la pen-
sée variable. Comment se refuser à accepter ces
conclusions qui sont non pas le résultat capri-
cieux d'une spéculation, mais bien la consé-
quence d'une très patiente analyse des docu-
ments chrétiens ? Toutes les fois que l'Eglise
s'efforcerait de leur opposer les positions prises
D«,:^i i„ Google
LE PROGRAMME DES MODERNISTES 107
au Moyen-Age, sans aucun discernement criti-
que, elle risquerait d'aboutir à la plus désas-
treuse des conclusions, à une véritable faillite.
Mais cela n'est plus à redouter. L'Eglise n*a pas
encore défini, et cela est providentiel, dans quel
rapport se trouve son immutabilité avec sa
variabilité. Et c'est pourquoi en acceptant,
comme le doivent faire tous ceux qui ont con-
fiance dans la possibilité de conciliation de la
science et de la foi, les résultats de la critique,
avec tout ce côté immuable qu'exige la vérité
intrinsèque du christianisme, nous avons fait
appel à quelques nouveaux motifs apologéti-
ques qui nous semblent posséder une profonde
force de persuasion auprès de nos contemporains.
Nous avons pu constater combien l'évolution
du christianisme a été spontanée, mais aussi
comment elle a paru, à chaque moment de l'his-
toire, indispensable à la conservation de la reli-
gion chrétienne. Celle-ci, sans cette évolution,
aurait couru le danger de se déformer, de s'affai-
blir, peut-être même de se perdre. De là la con-
séquence que l'évolution catholique ne peut être
rejetée par nous en aucune façon. De même que
nous ne pouvons nous soustraire aux résultats
du progrès social, même s'ils nous paraissent
encore imparfaits, ainsi tout le développement
chrétien, élaboration de la conscience chré-
tienne sur l'expérience religieuse de l'Evangile,
nous apparaît comme quelque chose de légitime
: L.OO^k-
108 LE PROOHAHHE DES MOBBRfJlSTKS
en soi que sous ne sommes pas libres d'accepter
ou de ne pas accepter, parce qu'en le répudiant
nous dessécherions dan» nos âmes les raisons les
plus profondes de la vie religieuse. Si même
certaines formules mentales, certaines institu-
tions autoritaires transmises à l'Eglise par le
Moyen-Age nous semblent désormais un encom-
brement inutile, nous ne croyons pas devoir
prendre, comme individus, une position hostile
vis-à-vis d'elles, mais nous travaillons avec con-
fiance à ce que la masse des fidèles, de plus en
plus, se rende compte de leur caducité : une
plus haute expérience du catholicisme ne peut
être autre chose que le fruit d'une conscience
chrétienne générale plus illuminée et plus culti-
vée. Dans ces dispositions d'esprit, nous avons
cru possible la conciliation entre les droits de la
critique historique et l'exigence profonde de la
foi. Tout est changé dans l'histoire du christia-
nisme, pensée, hiérarchie, culte : mais tous les
changements ont été des moyens providentiels
pour la conservation de l'esprit de l'Evangile et
cet esprit religieux s'est maintenu identique à
lui-même à travers les siècles. Les scolastiques
ou les Pères du Concile de Trente ont eu sans
doute un patrimoine théologique infiniment plus
riche que les chrétiens du premier siècle ; mais
l'expérience religieuse, qui leur a donné le carac-
tère de chrétiens, a été identique dans les uns
comme dans les autres. Elle est égale aujour-
,:,.„„.-.„, Got^glc
LE PBOanAMHE DES UODERNISTES 109
d'hui encore dans notre esprit, bien qu'elle
s'achemine lentement, hors des cadres de la
scolaatique, vers une nouvelle définition d'elle-
même. Les formules du passé et celles de l'ave-
nir ont été et seront pareillement légitimes,
pourvu qu'elles reflètent fidèlement le besoin de
la religion évangélique, avide de trouver dans la
pensée réfléchie les instruments de sa conser-
vation.
En raisonnant de cette manière, nous avons
rencontré, il est vrai, l'une des tendances fon-
damentales de la philosophie contemporaine,
la tendance immanentiste, considérée même
comme la condition indispensable de la philoso-
phie. D'après cette tendance, rien ne peut péné-
trer dans l'homme qui ne jaillisse d'un besoin
d'expansion et n'y corresponde d'une certaine
façon ; il n'y a pas pour lui de vérité fixe et de
précepte admissible qui ne soit en quelque
manière autonome et autochtone, AppHquée à
l'histoire chrétienne, cette conception immanen-
tiste constitue la meilleure apologie de ces posi-
tions religieuses auxquelles l'Eglise est arrivée
d'après l'incitation permanente de la conscience
collective.
Cette coïncidence, toutefois, n'a pas précédé,
mais suivi l'efTort de la critique scientifique pour
soulever de nouveau des ténèbres du passé l'évo-
lution objective du christianisme. Et ici nous
devons aborder la discussion des principes phi-
D«,:^il,,G00^k'
110 LE PBOGRAUUE DES MODERNISTES
losophiquea que l'Encyclique nous suppose.
Sont-ils exacts ? Et dans ce qu'ils ont d'exact,
le document pontifical a-t-il raison de nous les
reprocher comme anticatholiques ?
D«,:^i i„ Google
DEUXIÈME PARTIE
L'APOLOGÉTIQUE MODERNISTE
CHAPITRE I"
Sommes-nous agnostiques ?
L'Encyclique, en discutant la philosophie des
modernistes, lui reproche les principes agnosti-
ques, la méthode immanentîste, les apphcationa
de l'agnosticisme à l'histoire avec les postulats
de la transfiguration et de la déformation des
phénomènes.
Parlons, avant tout, de notre prétendu agnos-
ticisme. Les modernistes posent comme base de
leur philosophie religieuse, dit l'Encyclique (1),
ce principe « que la raison humaine enfermée
rigoureusement dans le cercle des phénomènes,
c'est-à-dire des choses qui apparaissent, n'a ni
la faculté ni le droit d'en franchir les limites. »
Nous pourrions faire ressortir les contradictions
dans lesquelles est tombée l'Encyclique en ayant
voulu nous accuser d'agnosticisme. En effet, elle
nous attribue dans le même paragraphe des
opinions qui contrastent on ne peut plus nette-
ment avec la position de l'agnostique. Elle dit
de fait que « pour eux (les modernistes), il est
une chose parfaitement entendue et arrêtée,
c'est que la science doit être athée, pareiile-
(1) Fondement philosophiqM du modernisme.
D«,:^il,,G00^k'
112 LE PROORiLHUE DBS HODBHNISTIS
ment l'hi&toire », et elle ajoute, quelques lignes
plus loin que, pour le» modernistes, « naturelle
ou surnaturelle, la religion, comme tout autre
tait, demande une explication », N'y a-t-il pas
vraiment de l'incohérence à nous reprocher en
même temps le préjugé agnostique, qui interdit
à la raison toute affirmation en dehors des phé-
nomènes, le postulat athée dans la science et
dans l'histoire et le principe qu'il est possible
de trouver une explication de l'origine et de
l'essence de la religion ?
Mais laissons ces petites méprises dans les-
quelles est tombé le compilateur du document,
mis dans l'embarrassante nécessité d'enfermer
le modernisme dans le vieilles catégories de sa
culture philosophique, et voyons sérieusement
s'il y a quelque chose d'agnostique en nous.
Avant tout, remontons à la définition qu'a
donnée de l'agnosticisme son détenseur le plus
connu : Herbert Spencer. Sa conclusion princi-
pale qu'il expose et soutient dans ses « Pre-
miers Principes » est celle-ci : « Si nous exami-
nons dans leur nature et dans leur valeur intrin-
sèque la religion et la science, nous retrouvons
dans la première quelques idées primordiales,
quelques éléments indispensables et dans la
seconde certaines conclusions irréductibles, et
par cela même inexplicables. Ainsi donc, à la
base de la religion comme à la base de la science
nous trouvQns un terrain neutre, qui échappe
D,<,,r,:^i t, Google
LE PlIOOnAUHB bES HODBRNtBTEB ll3
à notre analyse mentale, un ensemble d'idées
et de sentiments que nous ne parvenons pas à
déchiffrer. Sur ce terrain peuvent et doivent se
réconcilier la foi et la science. Nous devons
constater ce domaine de l'inconnaissable, mais
précisément parce qu'il est tel, nous devons
soigneusement nous garder de tout désir témé-
raire d'en pénétrer la nature, d'en spécifier,
avec nos métaphysiques puériles, les attributs
et l'action. »
Eh bien, cet aveu d'impuissance que l'agnos-
tique fait en face du mystère de l'univers est
radicalement étranger à notre esprit. Notre
apologie a été justement un effort pour sortir
de l'agnosticisme et pour le dépasser, en don-
nant une théorie de la connaissance, de même
que l'agnosticisme lui-même avait marqué un
progrès sur le positivisme matérialiste.
Imbu de principes rationalistes, l'agnostique
ne conçoit pas d'autres formes de connaissance
que l'expérience sensible par les phénomènes et
l'exercice de la raison appelée à réfuter les argu-
ments imaginés par la philosophie religieuse
pour défendre certaines théories particulières
sur l'origine de l'univers et sur son état de dé-
pendance vis à vis d'un Etre suprême. Comme
tCant avait découvert les antinomies des idées
cosmologiques, psychologiques et théologiques,
Spencer, par le moyen du raisonnement pur, a
voulu montrer les éléments arbitraires et aprio-
, Goo^k-
114 LE PROGRAMME DES UObERNlSTEd
riques qui entrent dans chacune de nos explica-
tions métaphysiques et religieuses du réel ; il a
donc afiirmé ainsi un fond de réalité qui échappe
à nos facultés intellectives et qu'il a défendu
d'approcher.
Notre attitude en face du problème de la
connaissance et de sa valeur est au contraire
radicalement différente et concorde avec celle
-que prend de nos jours la philosophie la plus
répandue, de même qu'elle coïncide avec les
résultats généraux de la critique des sciences.
Nous distinguons avant tout divers ordres de
connaissances ; la connaissance phénoménale, la
connaissance scientifique, la connaissance philo-
sophique, la connaissance religieuse. La connais-
sance phénoménale embrasse les objets sensibles
dans leur individualité ; la connaissance scien-
tifique applique le calcul aux groupes des phéno-
mènes perçus, en expliquant les lois constantes
de développement auxquelles ils sont soumis ;
la connaissance philosophique est l'interpréta-
tion de l'univers selon certaines catégories inhé-
rentes à l'esprit humain et reflétant les exigen-
ce profondes et inaltérables de l'opération ;
enfin la connaissance religieuse est l'expérience
actuelle du divin opérant en nous et en toutes
choses. Naturellement, nous voyons tomber de
cette manière les vieilles définitions dont la sco-
lastique avait hérité de certaines traditions clas-
siques de la science conçue comme < cognitio
: L.OO^k-
UE PROGRAMME t>R8 MObEhhlSTES 115
rei pep causas » et de la philosophie présentée
« comme une connaissance des choses divines
et humaines dans leurs causes dernières ». Mais
nous n'en sommes nullement responsables, car
la philosophie des sciences a déjà démontré de
son côté tout ce qu'il y a de conventionnel dans
chaque science, etl'analyse psychologique à son
tour a révélé les éléments subjectifs et person-
nels qui contribuent à la formation de la con-
naissance abstraite. En sorte qu'aujourd'hui,
il n'est plus possible de parler d'une faculté
inteilective qui s'exerce en dehors de toute
influence de conscience et atteigne une certi-
tude et une vérité qui soit « adaequatio rei et
intellectus ». La spéculation nous apparaît pré-
sentement comme une opération dans le sens le
plus général du mot et, comme consécutive à
l'opération, vient l'action de connaître, c'est-à-
dire le résultat d'un laborieux effort de l'esprit
qui cherche à mieux posséder le réel et à s'en
servir plus utilement, à travers tout schéma
mental qu'il réussit à en former.
Une telle conception est libératrice au plus
haut degré. En considérant la faculté inteilec-
tive en fonction de toute la vie intérieure de
l'homme ; en n'oubliant jamais la corrélation
étroite qui existe entre la connaissance abstraite
et l'opération ; en abattant les barrières fictives
que la psychologie scholastique plaçait entre la
pensée et la volonté, nous agrandissons prodi-
D«,:^i i„ Google
116 LB PROQRAUUK hBS UODBIlNISTEâ
gieusement le domaine du connaissable et nous
signalons à l'homme la possibilité d'atteindre,
ne serait-ce que par le moyen de formes de con-
naissance jusqu'ici trop négligées, les réalités
supérieures, dont la possession intime accroît la
valeur de la vie et l'enricliit de nouvelles poten-
tialités. Gomme la science nous aide dans l'em-
ploi du réel, moyennant la combinaison de
l'expérience avec les lois du calcul ; comme la
métaphysique correspond au besoin de l'action
de se laisser guider par une conception déter-
minée de l'univers ; de même les exigences de
notre vie morale, l'expérience du divin, réalisée
dans les profondeurs les plus obscures de notre
conscience, conduisent à un sens spécial des
réalités suprasensibles qui domine toute notre
existence éthique. Il ne nous convient plus
d'arriver à Dieu par la voie des démonstrations
de la métaphysique du Moyen- Age ou sur le
témoignage du miracle et des prophéties, autant
de faits qui choquent plus encore qu'ils n'éton-
nent la conscience contemporaine et qui échap-
pent au contrôle de l'expérience. Nous signa-
lons d'autres capacités de connaître le divin ;
nous trouvons en nous ce « sens illatîf » dont
parlait Newman, avec lequel il nous est donné
de saisir, dans son ineffable mystère, la présence
d'énergies supérieures, avec lesquelles nous som-
mes en contact direct. Comparé à ces opinions
gnoséolopques qui sont les nôtres, l'agnosti-
i,Coo^k'
iR PttOGttAMME Dtâ MODERNISTES 11^
cisme apparent, comme il est en réalité, un sys-
tème froid et rationaliste. Nous acceptons la
critique de la raison pure que Kant et Spencer
ont faîte ; mais bien loin de revenir au témoi-
gnage aprioristique de la raison pratique ou de
conclure à l'affirmation d'un inconnaissable,
nous montrons dans l'esprit humain d'autres
moyens d'arriver au Vrai autrement efficaces
que l'exercice de la seule raison. 11 est vrai que
nos postulats s'inspirent de principes immanen-
tistes parce qu'ils partent tous de cette suppo-
sition que le sujet n'est point passif dans ses
opérations intellectives et religieuses, mais qu'il
tire de sa propre nature spirituelle soit le témoi-
gnage d'une réalité supérieure dont il sent par
intuition la présence, soit la formule abstraite
de cette réalité entrevue. Mais le principe de
l'immanence vitale est-il ce principe délétère
que l'Encyclique semble croire ?
i,Coo^k'
CHAPITRE II
Notre immaneniisme.
* Puisque, selon les modernistes, la religion
est une forme de vie, c'est dans la vie même de
l'homme que doit se trouver son explication.
Voilà l'immanence religieuse. Or, tout phénomè-
mène vital — et, on l'a dit, telle est la religion —
a pour premier stimulant, une néce^ité, un
besoin, pour première manifestation, ce mouve-
ment du cœur appelé sentiment (1) ». Tout en
tenant compte des altérations que notre pensée
a nécessairement subies dans cette définition
que l'Encyclique a voulu en donner en catégo-
ries scolastiques, nous reconnaissons que ce sont
bien là, au fond, nos idées sur l'origine de la
religion. Celle-ci se révèle comme un résultat
spontané d'inextinguibles exigences de l'esprit
humain qui trouvent leur satisfaction dans
l'expérience intime et affective de la présence
du divin en nous. Mais si telle est notre croyance,
sommes-nous en cela en désaccord avec la tra-
dition ? C'est ce que nous allons voir.
Il est nécessaire avant tout de reconnaître
que les preuves imaginées par la philosophie
(1) g 1", b.— L'Immaiieiitisine -
D«,:^ii,,Gooi^li:
Le PROORAHUB DBd MODERNISTES lld
scolaatique pour démontrer l'existence de Dieu
et tirées du mouvement, de la nature des choses
finies et contingentes, des degrés de perfection,
de la téléologie de l'univers, ont aujourd'hui
perdu toute valeur. Les notions qui servaient
de base à ces arguments dans la revue générale
que la critique post^kantienne a faite des scien-
ces abstraites et empiriques et du langage phi-
losophique, ont perdu également le caractère
d'absolu que les aristotéliciens du Moyen-Age
leur accordaient. Lorsqu'une fois on a démontré
tout ce qu'il y a de conventionnel dans toute
représentation abstraite qae nous nous faisons du
réel, il est clair que non seulement de tels argu-
ments s'écroulent, mais encore qu'il devient
impossible d'en formuler d'autres du même
genre. Il était par conséquent naturel que l'on
recourût, pour la démonstration de l'existence
de Dieu, ou mieux pour la justification de la
foi dans le divin, au témoignage de la conscience.
Ainsi, on a fait appel aux énergies morales de
l'homme qui d'ailleurs dans ce problème sont
les plus autorisées à rendre témoignage, puis-
que l'origine de la religion est un fait de cons-
cience et doit être analysée comme telle. Un
semblable procédé est pleinement justifié en
soi, et il a toujours été admis comme légitime
par les plus illustres représentants de la doctrine
chrétienne.
Le principe : Dieu existe, est, de fait, comme
i,tji.>o^k'
j^ LE tROORAMUE DitH M0DtBtlI8TE«
tout autre jugement, ou synthétique, ou, si l'on
Teut, pour parler en langage non kantien mais
scolastique, un jugement qui tombe ou en ma-
tière nécessaire ou en matière contingente. Mais
puisqu'il s'agit d'un jugement d'existence, ce
ne peut être un jugement analytique, c'est-à-
dire tel que la notion exprimée par le prédicat
rentre d'elle-même dans celle qui est exprimée
par le sujet. Il reste donc que c'est un jugement
synthétique, et puisque la philosophie catho-
tique n'admet pas de jugements synthétiques a
priori, il faut dire nécessairement que c'est un
jugement synthétique a posteriori, par consé-
quent démontrable par le moyen de l'expérience.
Et puisque cette expérience ne peut être évi-
demment celle qui s'obtient dans les labora-
toires, il faut dire précisément que l'existence
de Dieu ne peut être vérifiée que par la cons-
cience et dans la conscience de l'homme. Nous
sommes donc pleinement logiques quand nous -
cherchons à tirer, des exigences immanentes de
la conscience humaine, l'affirmation du divin
transcendant ; quand nous nous efforçons de
découvrir en elle les aspirations profondes et les
imperfections toujours ressenties, par lesquelles
se révèle dans toute sa force la volonté de s'éle-
ver à Dieu qui agit déjà en nous avant même
que nous le cherchions.
En raisonnant ainsi, nous sommes même en
parfait accord avec la tradition soit patristi-
D«,:^i i„ Google
LE PROOHUIHB DES HODERNISTEa 121
que, soit scolastique. La première, surtout, qui
considérait l'aristotélisme comme funeste à la
profession de l'orthodoxie chrétienne (1), sou-
tint que la foi se suffit à elle-même ; la seconde,
bien que caractérisée par le triomphe du réa-
lisme logique sur l'intuition mystique, n'oublia
jamais l'aliment moral quand elle voulut
prouver les réalités de l'ordre de l'esprit, leur
valeur, leurs destinées. Quelques citations suffi-
ront à le prouver.
Clément d'Alexandrie, dans ses Stromates,
démontre longuement que le principe des choses
ne peut être trouvé par le moyen de la démons-
tration, mais seulement par la foi spontanée de
l'esprit qui, pour arriver à la perception de Dieu,
plutôt que de rechercher les éléments abstraits
de la connaissance rationnelle, doit acquérir la
discipline et la force qui naissent de la pratique
des grandes vertus : la charité, la pénitence, etc.
La foi, ajoute-t-il, est nécessaire à l'homme
comme la respiration à la vie ; sans elle, il n'est
pas passible d'arriver à la connaissance. Dieu
en particulier n'est pas objet de science, mais
de foi. Dans l'esprit de l'homme est répandue
une mystérieuse effluve divine (L. II).
{]) • Halheureux Aristota qui enseigna aux hêrêtiquea une
dialectique habile à dire el à ne point dira, variable iioi ses
opinioDi, dure daoa l'argumentation, féconde en discuisions
Btériles, fastidieuse] même ï elle-mSine. se rétractant conti-
nuellement et n'ayant jamais rien traité A tond 1 > De praser.
hairet. VII.
D,<,,r,:^i t, Google
122 LE PROGRAMME DES MODERNISTES
Bien plus explicites encore sont les déclara-
tions de Tertullien qui, pour déposer en faveur
du christianisme, fait appel non aux systèmes
philosophiques et aux théories abstraites, mais
au témoignage spontané de l'âme humaine.
N Comparais devant moi, ô âme : si tu es une
chose divine et étemelle, comme le veulent
beaucoup de philosophes, sans doute tu ne
mentiras pas. Si tu es une chose humaine et
périssable, à plus forte raison tu ne mentiras
pas en faveur d'un Dieu qui te demeure étran-
ger. Mais je ne te désire point élevée dans les
écoles, instruite dans les bibliothèques, imbue
de la science enseignée dans les académies. Je
te veux simple, inculte, ignorante, telle que te
possèdent ceux qui te possèdent pour seule
richesse. C'est de ton inexpérience que j'ai
besoin. » Et à cette âme primitive, dans ses mani-
festations antérieures à tout rudiment d'instruc-
tion et de culture, Tertulhen demande le témoi-
gnage spontané et irrésistible en faveur du
christianisme. De son langage naturel, de ses
mouvements les plus familiers, de ses aspira-
tions les plus habituelles, le grand apologiste
tire la preuve évidente de Vhumanité et par
conséquent de la vérité du témoignage chré-
tien. (De test. an. passim).
Origène affirme que « l'âme raisonnable, en
reconnaissant ce qui est naturel en elle, se
détache des objets qu'elle avait d'abord consi-
D«,:^i i„ Google
LE PaOanAHME VSS MODERNISTES 123
dérés comme des dieux ; elle conçoit un amour
naturel pour le créateur, et, par suite de cet
amour, elle accepte pour son Maître Celui qui,
le premier, a manifesté à tous les hommes cette
doctrine et qui s'est servi pour cela de disciples
préparés ». (Contra Celsuoi III, 40).
Mais celui des Pères qui en appelle avec le
plus d'insistance au témoignage direct de l'esprit
pour l'affirmation de l'expérience du divin dans
l'homme, c'est Saint Augustin. On connaît son
mot célèbre : Fecisti nos, Domine, ad te, et
inquietum est cor nostrum donec non requies-
cat in te. — Ses Confessions, cette admirable
épopée de la transformation de Tâme sous Tin-
fluence du divin, abondent en phrases qui nous
parlent de la démonstration de l'existence de
Dieu tirée de l'expérience personnelle que cha-
que homme en fait dans le cours de sa vie. Il
rappelle les « moyens admirables et cachés a
par lesquels Dieu conduit l'esprit humain à
reconnaître son existence (V, 6, 7, 13) et il
résume sa propre expérience à ce sujet dans ces
remarquables paroles : « C'est Toi, Seigneur, qui,
par un mystérieux instinct, amènes les hommes
inconscients à entendre et à percevoir ce qui
est nécessaire à leur élévation » (VII, 6),
Enân Saint Thomas lui-même, si porté cepen-
dant vers la spéculation métaphysique et si
plein de confiance dans les forces de la raison,
ne laisse pas d'accorder aux aspirations vitales
i:™,i,.-m,,G00^k'
In LE PBOGRAMME DBS HODERKISTIS
de la conscience et aux exigences profondes de
l'esprit la valeur démonstrative qui leur appar-
tient. Il alBrme à maintes reprises « qu'un désir
naturelne saurait jamais être déçu» (1 P. LXXV
6 ; C. G. II. 55, III. 51). Ainsi, la véritable tra-
dition scolastique est si loin de considérer l'argu-
ment moral comme dépourvu de valeur et capa-
ble de conduire au subjectivisme, qu'il l'invo-
que dans ses démonstrations les plus délicates,
telles que celle de la liberté humaine et celle de
l'immortalité du moi personnel. De fait, ces tbè-
ses si fondamentales pour le spiritualisme chré-
tien reposent sur un argument unique : le témoi-
gnage de la conscience.
Nous pouvons donc soutenir que notre atti-
tude en face du problème du divin est parfaite-
ment conforme à la meilleure tradition chré-
tienne. Amenés par la philosophie des sciences
à une révision de toutes nos notions empiri-
ques ; instruits par ta psychologie descriptive de
l'origine et de la valeur des idées abstraites dans
un sens diamétralement opposé à la théorie
scolastique de l'intellect agissant et de l'intel-
lect possible ; persuadés désormais indubita-
blement de tout ce qu'U y a naturellement de
conventionnel dans nos conceptions métaphy-
siques du réel, nous ne pouvons plus accepter
une démonstration de Dieu élevée sur ces
« idola tribus » qui sont les conceptions aristoté-
liciennes de mouvement, de causalité, de contin-
■inz^i i„ Google
LE PROORÀHHB DEB MODEHNISTEB 12S
gence, de fin. Nous croyons même plus salutaire
pour la conscience religieuse de reconnaître
explicitement que si la démonstration de Dieu
devait être essentiellement liée à ces concep-
tions, la pensée critique contemporaine aurait
ouvert dé&nitivement la voie à l'athéisme, mais
d'aflirmer en même temps qu'il existe un autre
argument pour cette démonstration, argument
principal, antérieur à l'élaboration scolaatique
elle-même, l'argument de la connaissance agis-
sante, qui apporte, dans les contingences de sa
vie factice, le besoin anxieux du divin et ne
parvient à vivre plus noblement sa vie qu'à la
condition de percevoir ce besoin et de le satis-
faire par cette expérience religieuse que l'am-
biance et la formation historique, dans les-
quelles elle est appelée à vivre, lui imposent.
Caractères et conséquences de notre immanen-
tisme. — Nous sommes donc immanentistes ; mais
Timmanentisme n'est point cette erreur gros-
sière que l'Encyclique semble croire ; c'est, au
contraire, la voie suivie pour arriver à la per-
ception du divin d'après toute la meilleure tra-
dition chrétienne. Nous croyons devoir insister
encore sur notre présente déclaration, pour
répondre à quelques autres reproches imméri-
tés du document pontifical.
I. On cherche avant tout à établir une pré-
tendue contradiction entre notre pensée et cer-
taines définitions du Concile du Vatican, par
D«,:^il,,G00^k'
Iz6 LE PROGRAHUE DES H0DEHN18TES
exemple : a Si quelqu'un dit que la lumière Datu-
relle de l'humaine raison est incapable de faire
connaître avec certitude, par le moyen des cho-
ses créées, le seul et vrai Dieu, notre Créateur
et Maître, qu'il soit anathème 1 n et pareillement
a si quelqu'un dit que la révélation divine ne
peut être rendue croyable peir des signes exté-
rieurs et que ce n'est donc que par l'expérience
individuelle ou par l'inspiration privée que les
hommes sont amenés à la foi, qu'il soit ana-
thème!» (De Rev. I et De Fid. III).
En supposant que l'assistance providentielle,
par laquelle est guidée l'histoire de l'Eglise,
opère de telle sorte que les formules doctrinales
définies à un moment déterminé pour répondre
aux exigences du sentiment religieux collectif,
aient été exprimées dans un langage suscepti-
ble d'interprétations variées et ne constituent
pas un obstacle aux adaptations ultérieures de
l'esprit religieux, nous répondons que les défi-
nitions vaticanes sont parfaitement conciUa-
bles avec notre pensée.
Pour ce qui regarde la première définition
conciliaire, il est facile d'observer que la notion
correspondant dans la mentalité moderne aux
mots « lumière naturelle de l'humaine raison »
est notablement différente de celle qui leur cor-
respond dans une mentalité scolastique. Il nous
est devenu aujourd'hui complètement impossi-
ble de concevoir la faculté purement intellec-
D«,:^il,,Gl.>0'^li:
DES MODERNISTES 131
tuelle et spéculative, libre de toute influence
des autres facultés de l'esprit. La raison appa-
raît de plus en plus à la psychologie plus récente
comme un instrument d'expression et de défi-
nition que les instincts de l'être humain ont
reçu de la nature et dont ils se servent, par un
travail inconscient, pour formuler en termes
abstraits leurs tendances et leurs expériences
de facultés élémentaires.
Le sujet humain nous apparaît maintenant
comme un ensemble d'énergies-, dont chacune
tend à la pleine expression d'elle-même dans le
développement quotidien de la vie. La raison
abstraite n'existe pas pour nous, elle existe seu-
lement en fonctions d'autres facultés instincti-
ves dont elle signale les exigences et les résul-
tats. Sans doute les théologiens thomistes, qui
formulèrent au Concile du Vatican la définition
rapportée plus haut, ont voulu dire que la con-
naissance de Dieu est possible à l'intelligence
pure opérant sur les notions tirées des appa-
rences sensibles de l'univers et recherchant par
des procédés syllogistiques la cause première
des choses. Mais cela n'empêche pas que l'esprit
religieux qui a su s'accorder avec les résultats
indiscutables de la philosophie moderne, se
refuse à admettre en ce sens la proposition du
Concile, préférant l'entendre dans le sens que
tous les moyens de connaissance que l'homme
possède, compris eux aussi parmi les choses
D«,:^il,,G00^k'
138 LE PROGRAMME DES HODBHNISTBS
créées, sont capables d'acquérir la certitude
vivante de l'existence de Dieu.
Parmi tous ces moyens de connaissance, pris
dans une large acception, nous plaçons aussi
la conscience de l'homme qui expérimente en
elle d'une manière qui échappe à l'analyse, les
influences du divin, immanent à travers des
siècles d'expérience reli^euse, et l'aspiration au
divin transcendant que réaliseront les généra-
tions religieuses de l'avenir.
Quant à la seconde définition, nous ne par-
venons pas 6 comprendre de quelle manière
notre pensée se trouve en cor^it avec elle.
D'abord elle ne parle plus de la foi en Dieu,
mais de la révélation, c'est-à-dire d'un fait
positif à propos duquel nous avons déjà expli-
qué comment on le doit comprendre, après
l'étude critique des documents qui, selon l'ensei-
gnement de l'Eglise, contiennent le dépôt de
cette révélation. La transmission de celle-ci ne
peut être faite que par le moyen de signes exté-
rieurs, sur ce point il ne peut y avoir de discus-
sion. Mais cela n'empêche pas que la cause et la
preuve de cette révélation soient le produit
d'une expérience interne. Saint Thomas a dit à
ce sujet : « Le maître ne produit dans le disciple
ni la lumière intellectuelle, ni l'image intelligi-
ble, mais par son enseignement il excite le dis-
ciple, afin qu'à son tour, avec l'éner^e de sa
propre intelligence, il forme en lui-même les
D,<,,r,:^i 1„ Gotlglc
Le fROGRAMMK DES MâbERNiSTÏS 120
conceptions intelligibles dont le maître propose
les signes extérieurs. » (S. T. I. CXVII. 1). Nous
pouvons appliquer cette lumineuse réflexion
aux paroles du Concile. Le magistère de la tra-
dition communique aux hommes les signes exté-
rieurs auxquels est attaché le souvenir de la
révélation. La conscience humaine ne doit point
cependant demeurer inactive en face de ces
signes, parce que l'expérience religieuse qui doit
en vivre nait précisément de l'intérêt qu'y prend
la conscience et de la vibration de l'être moral
à l'unisson de la parole divine qui- s'est révélée
et se révèle.
M. L'Encyclique ne nous accuse de rien
moins que « d'athéisme scientifique et histori-
que ; de penser que la science et l'histoire doi-
vent être athées » (1). Comment cette accu-
sation est en contradiction avec celle de pseudo-
mystiques qui nous est faite plus loin {2), cha-
cun le voit. Elle contient en outre un contre-
sens évident, il faut bien le dire.
Que dans le domaine de la science et celui de
l'histoire il n'y ait pas place pour autre chose
que pour les phénomènes, ce n'est point nous
seuls qui le prétendons, ce sont tous les savants
et tous les historiens dignes de ce nom, c'est-à-
dire qui obéissent aux règles méthodiques que
(1) Foudemeiit philosophique du modemiBine.
(3) Natnra ds la foi clin le moderniste.
D«,:^il,,G00^k'
130 LB KoaB&iiMK DES ilobKaKuTKd
la recherche scientifique considère aujourd'hui
comme définitives. La science et l'histoire ne
tendent qu'à vérifier des faits et à signaler
aussi, autant que possible, les rapports cons-
tants entre les phénomènes qui s'observent dans
leur champ d'étude respectif, mais ea adoptant
dans leur enquête les instrumenta dont elles
disposent, c'est-à-dire l'expérience ou l'expéri-
mentation matérielle dans le domaine physique,
l'analyse documentaire dans le domaine histo-
rique, elles sont et doivent demeurer exemptes
de toute préoccupation apologétique de quel-
que nature que ce soit. De cette façon la science
— l'histoire n'en est qu'une branche — n'est
ni athée ni théiste — et pour mériter vraiment
son nom, il faut qu'elle soit la science tout sim-
plement. Encore une fois, ce n'est pas nous
qui l'avons formée ainsi ; nous l'avons acceptée
et nous cherchons modestement à la professer
telle qu'elle est : une recherche impartiale des
faits et de rien autre que des faits. Le reproche
de l'Encyclique nous semble donc étrange au
plus haut point. N'est-ce pas un axiome admis
par les théologiens que la foi ne peut contre-
dire la science, parce qu'elles sont toutes deux
des rayons d'un même foyer de lumière, Dieu ?
Prétendre cela, ce ne peut vraiment pas vouloir
dire que l'harmonie n'existe qu'entre la foi et
une certaine science ad asum delphini ; ce serait
une offense à la véracité divine. Sûrs de voir
D«,:^il,,Gl.lO'^li:
LE PROGRAUHE DBS UODBnNlBTBB 13l
se réaliser finalement cette harmonie, nous
devons donc adopter la science la plus scienti-
fique, si l'on peut s'exprimer ainsi, c'est-à-dire
celle qui n'a absolument aucun but spécial
d'apologétique. De la sorte, nous ne sommes
point des athées en science; nous sommes uni-
quement des amants de la science vraie, indif-
férente à tout problème ultra-phénoménal dont
la solution est réservée à d'autres facultés de
l'esprit.
Aussi bien, lorsque nous sortons du champ
purement scientifique, poussés par notre besoin
de foi dans le divin, nous voyons les résultats
de notre recherche scientifique s'éclairer d'un
jour tout nouveau et acquérir une valeur autre-
ment précieuse et une bien plus haute signifi-
cation. Nous apercevons alors dans le monde
des phénomènes physiques une expression pro-
gressive de bonté, et nous en tirons la foi en
un principe supérieur auquel nous nous atta-
chons comme à un Père qui veille par une
direction providentielle des choses au triomphe
des éléments bienfaisants dans l'existence col-
lective. Nous voyons dans le monde de l'histoire
une volonté omniprésente, dont l'influence se-
crète dirige le progrès moral des hommes. Alors
les résultats négatifs de notre critique dispa-
raissent en face des afTirmations puissantes de
l'intuition religieuse. La critique a renversé la
croyance à la tradition formelle d'une révéla-
D«,:^il,,G00^k'
132 LS i>kOâRAllMB DES tlODKRNISTEa
tion primitive. Mais au-delà de la critique, il
existe une faculté qui découvre « dans la reli-
gion juive et chrétienne tin principe de vie, que
l'on peut dire surhumain, qui malgré les imper-
fections de la connaissance, les illusions appa-
rentes de l'espérance, les résistances de l'esprit
national, de la routine ritualiste et de l'inflexi-
bilité théologtque, tend à un épanouissement
toujours plus parfait. Réalité formidable sous
un extérieur fragile. C'est bien la petite pierre
qui, venant frapper à la base la statué colossale
des empires et des religions terrestres, l'a
réduite en poussière ; et la petite pierre se
change en grande montagne qui doit porter
l'humanité toute entière. « (1)
La foi voit entre l'Ancien et le Nouveau
Testament la continuité d'une révélation que
le divin a fait de lui-même, d'une manière
toujours plus intense, dans la conscience hu-
maine. 11 importe peu à la foi de savoir si la
critique peut ou non vérifier la conception
originale, les miracles de l'Evan^le, la résur-
rection du Rédempteur ; si elle peut ou non
attribuer au Christ le prédication de cer-
tains dogmes et la fondation de l'Eglise. Ces
faits échappent par leur caractère hyperphéno-
ménal aux prises de la critique et ce ae sont
point ceux dont la démonstration lui incombe.
(1) LouT- La Rsligion d'Iarati, pag. BS. i
I, Google
Le PftoâRAHHE DBS taoDEHNIStBB 133
Mais pour la foi, les uns et les autres ont une
réalité qui est même supérieure à celle des faits
physiques et historiques. Sans eux, en effet,
sans une semblable expression de capacités
morales très élevées, l'expérience religieuse
chrétienne serait demeurée privée des plus soli-
des appuis. Dans toute Télaboration psychologi-
que que la foi des générations chrétiennes a
fait subir aux éléments si simples de l'Evangile,
la foi entrevoit une œuvre extraordinaire, c'est-
à-dire telle qu'elle n'a pu se réaliser sans l'assis-
tance de cet esprit de Dieu qui, dès le commence-
ment, alimenta la vie du christianisme. Les
dogmes nés de la formulation abstraite de l'expé-
rience chrétienne, l'Eglise organisée pour les
besoins des fidèles, les sacrements produits par
la nécessité de confier à des rites extérieure le
souvenir permanent de l'œuvre de la rédemp-
tion et d'en communiquer, par l'intermédiaire
des sens, les fruits impérissables, nous appa-
raissent ainsi comme des réalités indispensables
à la fusion des âmes dans la même vie religieuse.
Nous nous unissons à tous les fidèles dans la
même foi et dans les mêmes pratiques religieu-
ses, sachant que celles-ci comme celle-là cons-
tituent la véritable continuation historique de
l'œuvre de Jésus et le moyen par lequel une
même expérience morale rapproche les croyants
qui adhèrent au catholicisme. Si même, person-
nellement portés vers une expérience plus simple
10
134 LE PBOGRAHUB DES UODEANISTBS
et plus directe du christianisme, noua nous sen-
tions capables de nous passer de ces moyens,
notre instinct de catholiques nous pousserait
non pas à rompre avec les saintes coutumes,
mais bien à répandre avec circonspection notre
propre expérience autour de nous.
Une telle manière de concevoir la légitimité
du développement chrétien nous est reprochée
par l'Encyclique comme subjective et symbo-
lique. Mais le subjectivisme et le symbolisme
ne peuvent plus constituer aujourd'hui une
accusation. La critique récente des diverses théo-
ries de la connaissance nous amène à conclure
que tout est subjectif et symbolique dans le
champ de la connaissance, les lois scientifiques
comme les théories métaphysiques. Mais cela
n'empêche pas que chacune des créations de
l'esprit humain dans les diverses sphères d'acti-
vité ait une valeur absolue. Le monde de la foi
a, par conséquent aussi, sa valeur vitale et il
est, dans son genre, un absolu. Quant au symbo-
lisme, le symbole n'implique plus aujourd'hui
l'idée d'une création factice, peut-être même
frauduleuse, à laquelle seraient liées certaines
croyances ignorantes et inconscientes. Il est
une réalité, une réalité sui generis, à laquelle la
foi confère une valeur inestimable, au point de
feùre de lui le moyen réel et l'occasion bienfai-
sante d'une élévation de l'esprit et d'une plus
profonde pénétration religieuse. Et, puisque
D,<,,r,:^i u, Google
LE FHOGRAHtIE DES UODERKISTES 13S
notre vie est pour chacun de nous quelque
chose d'absolu, voire même la seule chose abso-
lue, tout ce qui émane d'elle et tout ce qui s'y
rapporte, tout ce qui en nourrit et en enrichit
l'explication, participe également à cette valeur
absolue. Les reproches qui nous sont faits sont
donc par conséquent aujourd'hui des armes
Ltairii^i i„ Google
Transfigaration a déformation.
C'est 90UB ces tennes que l'Encyclique désigne
les conséquences que les modernistes, d'après ta
conception qu'elle s'en est faite, déduiraient de
leur agnosticisme appliqué à l'histoire : « Il ne
faut pas croire que l'inconnaissable s'offre à la
foi isolé et nu ; il est, au contraire, relié étroi-
tement à un phénomène qui, pour appartenir
au domaine de la science et de l'histoire, ne
laisse pas de le déborder par quelque endroit.
Or.voicicequi arrive: l'Inconnaissable, dans sa
liaison avec un phénomène, venant à amorcer
la foi, celle-ci s'étend au phénomène lui-même
et le pénètre en quelque sorte de sa propre vie.
Deux conséquences en dérivent. Il se produit,
en premier lieu, une espèce de transfiguration
du phénomène, que la foi hausse au-dessus de
lui-même et de sa vraie réalité, comme pour le
mieux adapter, ainsi qu'une matière, à la forme
divine qu'elle veut lui donner. Il s'opère en
second lieu une espèce de défiguration du phé-
nomène, s'il est permis d'employer ce mot, en ce
que la foi, l'ayant soustrait aux conditions de
l'espace et du temps, on vient à lui attribuer
LB PROORÀUHE DES MODERNISTES 137
des choses qui, selon la réalité, ne lui convien-
nent point 1. (1)
Laissons de côté l'agnosticisme dont nous
avons parlé et l'Inconnaissable dont aucun
moderniste ne parle et venons à cette altération
permanente, croissante même, de la réalité his-
torique que, selon l'Encyclique, le modernisme
attribuerait à l'efTicacité de la foi. Le reproche
nous piiratt reposer sur une équivoque. Cette
altération de l'objet, opérée par la foi qui s'y
attache, est bien circonscrite à l'ordre gnoséo-
logique, et, en ce cas, c'est une indiscutable
vérité, ou bien elle s'étend è l'ordre ontologique
et alors nous la répudions comme la répudie
l'Encyclique. Celle-ci, cependant, en ne faisant
aucune distinction entre les deux t)rdre8, com-
met une impardonnable équivoque. Nous devons
nous expliquer là-dessus.
Que le fait historique à travers le souvenir
que nous en transmettent des générations d'indi-
vidus qui s'y sont intéressés pour sa valeur
éthique et reUgieuse, prenne des proportions de
plus en plus élevées et une signification tou-
jours plus profonde, c'est une vérité incontesta-
ble. Précisément parce que les conséquences
pratiques et les applications innombrables de
ce fait à la vie morale ne peuvent être immédia-
tement trouvées et illustrées, il faut un certain
(1) S l". DâlomatloQ de l'hlstidre nligimiH.
D«,:^i 1„ Google
138 LB PROGRAHHB DES MODERNISTES
temps pour que les hommes apprennent à en
vivre avec une conscience plus claire de sa va-
leur. Mais cela n'implique pas que les expérien-
ces vécues par les générations nouvelles soient
quelque chose d'ontologiquement nouveau qui
n'était pas déjà contenu en puissance dans le fait
lui-même.
Nous admettons qu'au point de vue gnoséo-
logique les faits historiques qui servent de sujet
à la foi subissent une élaboration intense par
laquelleilsrevêtent des caractères qu'ils n'avaient
pas à l'origine. Le Christ de la foi, par exemple,
est sans doute bien différent du Christ de l'his-
toire ; la foi a pris en celui-ci son point de départ
pour une reconstitution théologique et mysti-
que toujours plus haute et plus compréhensible.
Mais nous ne prétendons pas qu'au point de vue
ontologique, il n'y eût pas déjà, renfermées dans
le Christ de l'histoire, ces valeurs éthiques et ces
significations religieuses que l'expérience chré-
tienne a découvertes lentement, en vivant le
message évangélique.
Voici un exemple qui, croyons-nous, fera
mieux comprendre notre pensée. Le mathéma-
ticien, comme tel, peut ne pas saisir une har-
monie qui se révèle, au contraire, à une âme
musicienne ; mais cela ne veut pas dire que cette
harmonie ne soit pas réelle, ni que l'âme musi-
cienne la crée en aucune façon. Celle-ci la trouve
là où une autre âme nelatrouveraitpas.il faut
D«,:^i i„ Google
LE PBOORAHUE DES IIODBRNISTBS 139
en dire autant dans notre cas. Les faits religieux
renferment des significations mystérieuses que
la science pure ne saisit point ; la foi, grâce à
ses facultés particulières, pénètre ces significa-
tions et réussit à les vivre. Cela ne veut pas dire
qu'elle les crée ; elle les trouve. Mais, pour les
trouver, il faut précisément les facultés de la
foi qui, élaborant son objet, le transfigure et
le défigure sans doute, mais seulement au point
de vue de la connaissance et non pas au point
de vue ontologique. Notre position étant ainsi
expliquée, nous croyons que le reproche de
l'Encyclique tombe dans le vide. Car le moder-
nisme admet ce quetout le monde doit admettre :
le progrès dans la connaissance réfléchie du sur-
naturel, et il ne nie pas ce que la dogmatique
exige, c'est-à-dire la richesse du fait initial sur
lequel la foi exerce son admirable et ineffable
labeur d'assimilation vitale.
Ce que nous venons de dire des résultats de
l'histoire en ce qui concerne le christianisme peut
fournir de cela une éloquente confirmation.
La pensée dogmatique n'a jamais outrepassé
la tâche qui lui est assignée de fournir unique-
ment des formules capables d'imprimer à la vie
morale de tous les fidèles les caractères de l'exis-
tence religieuse selon l'Evangile. Le fidèle devait
avoir vis-à-vis du Christ l'attitude de respect et
d'amour due à Celui en qui habite la plénitude
de la divinité, et il devait aussi, en présence de
i,Coo^k'
lU IX MIMRAMMK BBS MODERIOBTES
l'Esprit qui inondait son Âme de dons surnatu-
rels, garder la pieuse attitude réclamée devant
Celui en qui, par un ineffable mystère, passe la
vie du Très-Haut avant de se répandre sur les
fidèles. Mais que de tâtonnements il a fallu avant
d'arriver à la représentation exacte de ces dc^
mes aux définitions du Concile de Nicée I Le
Bubordinatisme alexandrin, le modaliame
sabellien qui sacrifie ta distinction des per-
sonnes, la trinité de Tertullien qui ne sauve-
garde pas le monothéisme, la doctrine d'Hippo-
lyte des deux hypostases et du don impersonnel,
le conflit entre Denys de Rome et Denys d'Ale-
xandrie représentent autant d'efforts accomplis
pour arriver à une formulation de la doctrine
trinitaire qui parvint, par son efficacité sur la
vie éthique du chrétien, à déterminer une atti-
tude religieuse spéciale vis-à-vis de Dieu le Père,
du Christ son envoyé, et de l'Esprit, principe
de vie surnaturelle.
Mais toutes ces tentatives doctrinales impli-
quent seulement une transfiguration gnoséolo-
gique des données fondamentales de l'Evangile,
parce que les réalités dogmatiques qui y étaient
cachées renfermaient déjà en elles les trésors
religieux que la réflexion de la foi a su plus tard
y découvrir peu à peu.
D«,:^il,,Gl.lO'^li:
QUESTIONS PARTICULIÈRES
Jusqu'ici nous n'avons pas fait autre chose
que d'expliquer et de défendre nos véritables
positions en face des fausses et tendancieuses
accusations de l'Encyclique. Mais celle-ci con-
tient aussi quelques assertions qui nous sont
reprochées comme erronées, et qui pourtant
représentent l'enseignement authentique de la
tradition catholique. Pour les soutenir nous
pouvons, par conséquent, prendre directement
l'offensive contre le document pontifical.
§ 1. — Valear comparative des religions.
« Les modernistes, dit l'Encyclique, les uns
d'une façon voilée, les autres ouvertement, tien-
nent pour vraies toutes les religions ». (!) Enon-
cée sous une forme si absolue, cette proposition
peut faire une certaine impression. Mais elle ne
. (1) S s. L'«xpérieiice indiTiduaUe.
D«,:^il,,C00i^k'
142 LE PnOGRAHUB DBS MODERNISTKS
représente pas exactement notre pensée. Nous
disons simplement que toutes les religions reflé-
tant le degré de culture et d'évolution sociale
des peuples parmi lesquels chacune d'elles s'est
répandue, provoquent une expérience utile et
salutaire. Nous disons en outre que les rapports
entre les formes religieuses actuelles et passées
et la religion chrétienne ne sont point des rap-
ports d'égalité, mais ceux de formes moins par-
faites avec la forme religieuse parfaite. En
disant cela nous défions les compilateurs de
l'Encyclique de nous mettre en désaccord avec
les meilleurs témoignages des Pères et des doc-
teurs cathohques. Tous s'accordent à dire que
les religions inférieures ont quelque chose de
bon, en tant qu'elles ont gardé un lambeau de
la révélation primitive.
Saint Justin, parmi les premiers apologistes
du christianisme ne sentait pas cela autrement
que nous quand, adoptant la conception stoï-
cienne du XifiJî aiTEpiiatixôî, il entendait par là
une raison et une connaissance déposées en
germe par Dieu dans toutes les âmes et quand,
s'adressant aux païens, il leur disait : « Nous
afiîrmons de Jésus-Christ qu'il est le Verhe, le
Verbe auquel participe tout le genre humain, et les
hommes qui ont vécu selonle Verbe sontehrétiens,
même s'ils sont considérés comme athées ; tels,
parmi les Grecs, Socrate, Heraclite et tous ceux
qui leur ressemblent ; tels, chez les barbares,
D«,:^i i„ Google
) MODERNISTES 143
Abraham, Hananîa, Azaria, Misehael, Elle.
Ceux qui vivent aujourd'hui selon le Verbe sont
chrétiens... Les enseignements de Platon ne con-
tredisent pas les enseignements du Christ ; il en
faut dire autant des stoïciens et des poètes ; cha-
cun d'eux a eu une vision partielle de la raison
divine universellement répandue. Toutes les
vérités qu'ils ont proclamées nous appartiennent
à nous, chrétiens » (Apol. !<> et 11°).
Athénagore déclarait que tous les hommes
« obéissant à une inspiration qui vient de Dieu »
s'accordent sur certaines croyances fondamen-
tales (Ap, 7). Clément d'Alexandrie exposa de
merveilleuses pensées à ce sujet : « Utilisons la
parabole du semeur, telle que le Seigneur lui-
même l'a interprétée (Mat. XIII) : Pour ce
champ qui est l'homme, il n'y a qu'un seul
semeur ; ce semeur, dès le commencement du
monde, jette les bonnes semences et à chaque
époque il envoie comme une pluie bienfaisante,
le Verbe ; mais les temps et les lieux divins où
le Verbe est reçu produisent la diversité des
résultats... Il existait une antique et naturelle
relation entre l'homme et le ciel. Le Verbe n'a
été caché à personne. Il est la lumière univer-
selle : elle brille pour tous les hommes. La révé-
lation de l'unité divine et de la toute-puis-
sance divine est dans tous les hommes droits
une chose naturelle. » (Str. I. 5, 17. VI. 8, 9.
V. 13). Saint Augustin afiîrme lui aussi la
D«,:^il,,G00^k'
144 LK raoflRuiHB PU MODBwnans
spontanéité du sentiment reli^eux bous toutes
les formes positives, il va jusqu'à dire, à la ma-
nière de Platon, que tout ce qae nous savons
de Dieu n'est qu'un souvenir, (Confess. XXIV.
35). Il est suivi en cela par Saint Anselme : » La
créature raisonnable ne doit travailler à nen
avec une application plus intense qu'à manifes-
ter au dehors l'image divine qu'elle porte natu-
rellement imprimée en elle-même. »
Qu'on nous dispense de multiplier des témoi-
gnages qui coïncident en grande partie avec
ceux que nous avons rapportés et que nous au-
rions pu rapporter encore à propos de i'imma-
oeace religieuse.
§ II. — Science et Foi.
L'Encyclique, avec une logique fort boiteuse,
accuse à la fois le modernisme de séparer la
science de la foi et d'assujettir la foi à la science,
pour trois raisons : parce que tout fait religieux
relève du domaine de la science; parce que l'idée
de Dieu elle-même est tributaire de la science,
et parce que le croyant éprouve un besoin
intime d'harmoniser la foi avec la science (1).
Ainsi, le document pontifical applique aux mo-
(l| i i. La loi ezpoliéa de UKî«nc«.
D«,:^i i„ Google
Ls Programme oiti udDiRNtdTRS 14S
dernistes les paroles de Grégoire IX (1) repro-
chant à certains professeurs de théolo^e de
plier u à la doctrine philosophique les pages
célestes de l'Ecriture ». La contradiction que
présente ce reproche est à elle seule un motif
suffisant d'en faire ressortir l'inanité. Les moder-
nistes, comme nous l'avons déjà dit, pleinement
d'accord en cela avec la psychologie contempo-
raine, distinguent nettement la science et la foi.
Les procédés, par lesquels l'esprit aboutit à
l'une ou à l'autre, leur paraissent complète-
ment étrangers et indépendants entre eux. Ceci
est môme pour nous un point fondamental. Par
conséquent, la prétendue servitude à laquelle
nous réduirions la foi par rapport à la science
(1) La leltra de ce panlife que cite l'Encyclique n'est pas,
comme elle dit de 12S3, miàa de 1228. Mais cette erreur de
date est bien légère auprès de l'erreur très grave que commet
le rédacteur de l'Encyclique en employant contre nous les
paroles de ce pontife du Moyen-Age. Ces paroles en eltet
sont dirigées, dans l'intention de l'auteur, contre les scolas-
tiques de l'Unirersité du Paria, habitués, comme les scolasti-
ques de notre temps, à ne pas respecter du tout la signitica-
tion propre des textes de l'Ecriture, afin d'en tirer dos argu-
ments en faveur de leur^ thèses métaphysiques. Ces paroles
ont encore une valeur d'actualité, non point contre les
modernistes, dont le premier soin a été et est toujours d'as,
signer aux documents écrits leur véritable valeur, mais con-
tre les sco'astiques de parti pris dont pourtant l'Encyclique
fait le panégyrique. Ainsi ce passage de la lettre de Gré-
goire IX dont on se sert contre nous est plein d'une ironie
naturelle. Le rédacteur de l'Encyclique aurait-il voulu se ren-
dre coupable d'anti-scolasticisma ?
D«,:^i 1„ Google
: PROGRAMME DES HODERNISTKB
est un non sens. Si le fait des croyances indivi-
duelles et collectives, exprimées extérieurement,
des systèmes théologiques devenus objet d'en-
seignement rentre dans le domaine de la science
historique, cela ne signifie pas du tout que le
mouvement psychologique que la foi révèle soit
lié en aucune façon à des recherches scientifi-
ques spéciales. La critique analyse les formes
extérieures et les affirmations publiques de la
foi. Mais la foi religieuse elle-même, besoin ins-
tinctif de toute intelligence saine, tout en se
ressentant, dans la conscience réfléchie d'elle-
même, de l'influence de la culture générale,
naît spontanément et se développe indépendam-
ment de toute préparation d'éducation scienti-
fique. En sorte que les paroles de Grégoire IX,
au lieu de reconnaître qu'elles nous soient appli-
cables, c'est nous qui pouvons les retourner
contre les théolopens qui ont toujours abusé
de l'Ecriture et en ont travesti la signification
naturelle, pour pouvoir l'invoquer à l'appui de
leurs thèses préétablies. Les modernistes, au
contraire, bien loin de tordre le sens des paroles
bibliques pour le service d'une apologétique peu
loyale, distinguent nettement, dans les monu-
ments écrits de la révélation, la source histori-
que et l'expression de la croyance religieuse.
Ils leur consacrent ainsi deux formes d'activité :
l'activité scientifique qui, usant des méthodes
propres à l'histoire, vérifie la valeur des sources
i,Got>glc
LE PROGRAMME DES MODERNISTES li7
scripturaires comme elle le pourrait faire de
toute autre source historique, et l'activité reli-
gieuse, l'intuition de la foi, qui cherche à faire
revivre en elle, en se l'assimilant et en l'adap-
tant au progrès psychologique, l'expérience reli-
gieuse dont le document biblique constitue le
souvenir écrit.
§ III. — VEglise et l'Etat.
Enfin, l'Encyclique nous reproche de désirer
la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ici encore
l'Eglise oflicielle nous fait un crime d'une de
nos meilleures aspirations qu'elle devrait elle-
même volontiers accueillir, si des liens de solida-
rité et d'attachement excessif à un passé de
gloire mondaine qui ne reviendra plus ne lui
offusquaient la juste vision des choses.
Nous savons fort bien pour quelles décisives
raisons de civilisation l'Eglise a dû assumer au
Moyen-Age un pouvoir politique qui, tout en
troublant, parfois même gravement, l'exercice
du pouvoir spirituel, a eu, sur le développement
de l'Europe à cette époque, une influence plu-
tôt heureuse. Mais les contingences historiques
qui avaient amené l'Eglise à endosser une res-
ponsabilité politique séparable du pouvoir reli-
gieux, à supposer qu'elle ne soit pas incompa-
t(8 LE PROORAHIllB DES MODBRNIdTïfl
tible avec lui, ont cessé d'exister. L'Etat mo-
derne se présente comme l'organe destiné à
régler le progrès des collectivités dans leurs
întérSts matériels et moraux en tant qu'ils sont
en foncUon de la vie publique. 11 a des moyens
de gouvernement suffisants et un programme
bien délimité. L'Eglise, dans cet état de choses,
doit se féliciter de pouvoir déposer tout fardeau
politique, en se retirant dans la sphère de ses
pouvoirs spirituels et en se bornant à sa mission
de conductrice des hommes dans les voies de
l'esprit religieux. Elle a tout à gagner pour son
but spécial à cette séparation des pouvoirs.
Quelles sympathies peuvent lui gagner, en face
de la conscience contemporaine, les misérables
restes d'un pouvoir aujourd'hui éteint ou les
velléités de le reconquérir ? Quelle popularité
peuvent lui donner ces petites oligarchies nobi-
liaires si décrépites qui, en échange d'un peu
de pompe extérieure, lui imposent des habitu-
des en opposition manifeste avec les tendances
modernes ? Nous comprenons tout cela et nous
le disons franchement. Nous sommes las de voir
l'Eglise réduite au rôle de bureaucratie jalouse
des pouvoirs qui lui restent et avide de recon-
quérir ceux qu'elle n'a plus ; devenue la chose
d'une classe d'hommes incapables qui, après
s'être voués au sacerdoce, c'est-à-dire à une vie
d'apostolat, et parvenus aux plus hauts degrés
de la hiérarchie, jouissent de prébendes fabu-
i:,<,,i,.-^i I,, Google
DBS HODEnniBTEB li9
leusement grasses dans la plus coupable inaction;
transfonnée enfin en une force stérile qui, en
dépit de ces apparences superbes, célébrées
encore par beaucoup de gens à l'admiration
facile et inconsciente, exerce une œuvre de
réaction sur le progrès de la société, en une
institution qui perd d'autant plus son influence
qu'elle s'obstine plus longtemps à tenter de
ressusciter les manifestations de sa puissance
d'autrefois. Pour mettre fin à cette déplorable
situation nous ne voyons pas de moyen plus
efficace que la séparation définitive de l'Eglise
des fonctions politiques, le retour à une vie
simple qui lui facilite l'accès de la démocratie
et lui donne la capacité d'apporter à celle-ci
les trésors religieux que la tradition chrétienne
a accumulés dans son aein. Plus de vain désir
politique I plus de combinaison pour reconsti-
tuer sur des bases différentes, mais équivalentes,
la puissance civile de l'Eglise au Moyen-Age l
Que l'Eglise sacbe être uniquement cette grande
force d'élévation morale qu'elle a été dans ses
périodes les moins fastueuses, mais les plus
fécondes, l'époque primitive surtout, et son his-
toire qui suit aujourd'hui la courbe descen-
dante prendra une puissante impulsion pour
une nouvelle et glorieuse ascension. L'Eglise
doit sentir la nostalgie de ces courants de vie,
encore inconsciemment religieux, qui soutien-
nent la marche en avant de la démocratie et
, L.oo^k-
tSÛ LB PROGRAUMB DBS UODEHNISTBB
elle doit aussi trouver le moyen de s'unir à
celle-ci pour la guider à ses légitimes conquêtes
en lui apportant la force de ses freins nécessai-
res et le stimulant de son autorité morale, seule
capable de lui donner de véritables leçons
d'abnégation et d'altruisme. L'Eglise doit loya-
lement reconnaître que dans la démocratie,
c'est précisément une réalisation plus élevée de
sa catholicité qui se prépare. Alors aussi la
démocratie comprendra le besoin de l'Eglise,
découvrant en elle la continuation du messï^e
chrétien d'où elle tire ses lointaines mais au-
thentiques origines.
§ IV. — Appréciation d'ensemble.
« Maintenant, embrassant d'un seul regard
tout le système (du modernisme), qui pourra
s'étonner que Nous le définissions le rendez-vous
de toutes les hérésies ? n (1) C'est ainsi que
l'Encychque résume son réquisitoire contre le
modernisme, et si ses prémisses étaient vraies,
elle aurait sans doute pleinement raison. Si, en
effet, le modernisme était, comme elle l'a dit,
rempU d'agnosticisme, il serait les bases mêmes
de la foi cathoUque et l'on pourrait l'accuser
justement d'ouvrir la voie à l'athéisme.
(1) CoDclunoD de l« pramiire partie.
LS PROOHAMHB DES
Nous nous sommes efforcés de démontrer,
dans les pages qui précèdent, que la réalité est,
bien différente. Certes, il existe une crise au
sein de la pensée catholique, et c'est une crise
de pensée qui n'est point circonscrite à un
dogme particulier et qui s'est développée au
sujet de l'attitude générale à prendre en face
de la conception traditionnelle de révélation et
de surnaturel, en face de l'ensemble des données
offertes par la tradition catholique. Pour celui
qui part de l'idée bien arrêtée que l'interpréta-
tion scolasttque du christianisme est avec celui-ci
une seule et même chose, peut bien regarder le
modernisme, qui est essentiellement critique et
antiscolastique, comme le danger le plus grave
pour la sécurité de la tradition chrétienne. Mais
si l'on consent à voir en dehors du scolasticisme
d'autres formes de pensées applicables à l'expé-
rience de l'Evangile, on ne saurait partager ces
enfantines terreurs. L'histoire nous démontre
que les grandes crises qui, semblables à la crise
actuelle, sont nées dans l'Eglise du besoin
d'adapter la foi à des formes concrètes de phi-
losophie et d'organisation sociale, se sont tou-
jours résolues à l'avantage de l'Eglise elle-
même qui en est sortie pour s'élever à une inter-
prétation plus haute de sa nature et de ses des-
tinées.
Ce sont les disputes partielles relatives à un
dogme unique ou à une prétention de l'autorité
: L.OO^k-
15^ LE pnoaR&uiiE DES mddkiimbtes
qui ont abouti au schisme et à l'hérésie. Dans
rbistoire de l'Eglise on a toujours pu vérifier
ce singulier paradoxe : c'est que les crises doc-
trinales se sont terminées d'autant plus pacifi-
quement que le fondement en était plus vaste,
et qu'au contraire elles ont occasionné des scis-
sions d'autant plus douloureuses que le terraïn-
de la discussion était circonscrit.
S'il en est ainsi nous sommes en droit d'espé-
rer que notre mouvement si étendu et si com-
plexe parviendra à triompher sans secousses
violentes en entraînant avec lut l'Eglise et en
cherchant à être par elle absorbé.
am„li i„ Google
TROISIÈME PARTIE
LA PERSÉCUTION
CONTRE LE MODERNISME
La partie qui concerne les mesures à adopter
contre les modernistes (3^ partie] est la partie la
plus grave et, de l'avis de tous, la moins sympa-
thique de toute l'Encyclique. Pie X ordonne que
Ton expulse de l'enseignement des séminaires
tous les jeunes professeurs — et ils sont très
nombreux — suspects de modernisme ; que les
livres dangereux soient condamnés sans ména-
gement, même s'ils ont obtenu ailleurs Vimpri-
matur ; que, pour la révision des livres, on insti-
tue, dans chaque diocèse, un comité de censeurs
sûrs ; que l'on surveille les réunions de prêtres
et de laïques modernistes ; que les jeunes ecclé-
siastiques qui seraient désireux d'étudier et de
suivre le mouvement général des idées soient
mis dans l'impossibilité d'écouter leurs aspira-
tions ; que chaque diocèse ait un conseil de
vigilance contre le modernisme ; qu'enfin les
évêques renseignent périodiquement le Saint
Siège sur l'état de leurs diocèses respectifs en
ce qui regarde la diffusion des idées modernistes.
D«,:^i i„ Google
lS4 LE PROGRAMME DBB MODERNISTES
Quelque disposés que noua soyons à accueillir
avec sérénité la parole du Souverain Pontife,
nous ne parvenons pas à découvrir dans ces
mesures disciplinaires l'esprit de douceur et de
paix qui devrait être dans le cceur de celui qui a
le nom du Christ sur les lèvres. De telles mesures
disciplinaires représentent le maximum de sévé-
rité et de rigueur que les mœurs du XX^ siècle,
affranchies de la tyrannie, pouvaient tolérer.
En certains détails même, elles renouvellent les
excès de l'inquisition du Moyen- Age, que dis-je ?
elles égalent les aberrations tant de fois repro-
chées à Juhen l'Apostat qui bannissait des écoles
les maîtres chrétiens. Peut-on voir autre chose
qu'une explosion de colère dans l'ordre de chas-
ser impitoyablement les jeunes modernistes du
clei^, c'est-à-dire les meilleurs pour la capacité
et l'ardeur au travail, de les reléguer dans les
postes les plus infimes, de les réduire à voir
leurs facultés se stériliser, de les désigner au
mépris de leurs confrères moins capables, mais
plus lâchement soumis ?
Quelques-unes des dispositions rappelées plus
haut, outre qu'elles témoignent d'une rigueur
inopportune et excessive, contredisent des prin-
cipes fondamentaux du droit canonique. Les
conseils de vigilance, par exemple, tendent à
circonscrire l'autorité épiscopale, à engendrer
des ressentiments et des dissensions dans les
rangs du clergé, en poussant chaque ecclésias-
D«,:^i i„ Google
LE PROORAMME DBS UODERNISTBS 155
tique à suspecter son confrère en qui" il peut
voir à bon droit un délateur, enfin à fournir des
prétextes aux plus basses représailles. En outre,
donner la permission de proscrire dans un dio-
cèse des ouvrages qui ont été autorisés dans un
autre, n'implique pas seulement la monstrueuse
et grotesque supposition que la vérité change
en même temps que change la juridiction ecclé-
siastique, cela discrédite encore l'autorité même
des réviseurs et l'expose au mépris du public. Le
secret dans lequel doit être tenu le nom des
censeurs, outre que c'est là une mesure assez
peu pratique, ofTre le très grave inconvénient
de rendre plus aigu un des plus intolérables
abus que l'Eglise ait hérités du Moyen-Age,
celui de condamner en matière intellectuelle
sans avoir à faire connaître les motifs de la
condamnation. Enfin, le bâillon imposé à la
presse catholique ne fera que restreindre de
plus en plus son influence sur le peuple.
En résumé, si ces mesures ne témoignent guère
en faveur de la noblesse d'âme de celui qui les
a imaginées, elles montrent du moins quelle
vaine terreur le modernisme a excitée dans les
rangs les plus élevés de la hiérarchie. Au lieu de
laisser le conflit se résoudre paisiblement et
l'issue apparaître à travers les disputes elles-
mêmes, on cherche à arrêter violemment le
mouvement, et contre nous, qui ne voudrions
pas avoir jamais empêché un adversaire d'expo-
— '-Got^glc
fS6 LE PROQRAUME DES MODIRMBTBB
aer toute sa pensée et qui avons une telle con-
fiance dans la justesse de nos idées que nous ne
redoutons en aucune façon la discussion, on
décrète les mesures les plus draconiennes. Nous
ne pouvons que rappeler au Vatican, en toute
humilité, les paroles de Gamaliel au Conseil des
Pharisiens disputant sur l'emprisonnement de
Pierre et de ses compagnons : « Ne vous occupez
plus de ces hommes et laissez-les aller. Sa leur
programme vient des hommes, il se détruira ;
mais s'il vient de Dieu vous ne pourrez l'entraver
et prenez garde d'avoir combattu contre Dieu I »
{Actes V. 38). Nous demandons à Pie X de renou-
veler l'expérience des Pharisiens avec les apô-
tres, de nous laisser aller pour continuer libre-
ment notre travail. Si l'œuvre que nous avons
entreprise est vitale, elle triomphera malgré les
persécutions ; si elle est vaine ou funeste, elle
tombera d'elle-même inévitablement.
D«,:^i i„ Google
CONCLUSIONS
Et maintenant il noua faut conclure en parlant
comme nous l'avons fait jusqu'ici, avec sérénité
et sans amertume, nous souvenant de l'avertis-
sement de l'Ecriture : non in commotione Do-
minus. Une grande crise d'âmes, qui ne date
pas d'aujourd'hui, mais qui atteint de nos jours
son plus haut degré d'intensité, travaille toutes
les confessions religieuses en Europe : le catho-
licisme, le luthéranisme, l'anglicanisme. Ce sont,
en général, les nouveaux états de la conscience
publique qui contrastent avec les positions tra-
ditionnelles de l'esprit religieux ; ce sont les
résultats de la science qui, facilement vulgari-
sés, répandent une instinctive défiance à l'égard
des titres métaphysiques et historiques dont se
prévaut l'enseignement dogmatique des Eglises.
Le catholicisme, en raison de sa plus haute anti-
quité, des éléments de culture médiévale plus
obstinément conservés dans son propre sein, en
raison aussi de son contact plus direct avec les
nouvelles affirmations de la science et les volon-
tés de la démocratie, ressent plus vivement les
i,Coo^k'
158 LI PROGRAMME DBS MODERNISTES
douleurs et les angoisses de cette crise profonde.
Mais ces douleurs, assurément il ne les évitera
point, ces angoisses, il ne les étouffera pas en
recourant aux stéiiles paroles de ses condamna-
tions, aux peureuses conjurations de ses ana-
thèmes. Le mouvement des esprits, dans une
époque de culture intense et largement répan-
due comme la nôtre, n'est pas un mince ruisseau
que l'on puisse aisément endiguer ; c'est une irré-
sistible marée que l'autorité doit diriger sage-
ment et non point sottement entraver. Si le
successeur de Pierre condamne, avec une âpreté
si inaccoutumée la science et l'apologétique mo-
dernes, noua nous demandons s'il n'en faut pas
chercher la raison dans une inexplicable igno-
rance des tendances qui caractérisent l'évolu-
tion morale de nos jours et dans une incapacité
radicale de comprendre le succès auquel sont
destinées les énergies progressistes dans le
monde. Nous savons très bien, grâce à nos rap-
ports familiers avec tant de membres de la hié-
rarchie ecclésiastique, que les générations de
prêtres qui nous ont précédés ont été obstiné-
ment élevées dans le plus cordial mépris de la
culture moderne et aussi, il faut bien le recon-
naître, dans le plus monstrueux orgueil pour
leur instruction théologique médiévale. Nous
avons songé plus d'une fois à l'étrangeté du
spectacle offert par ces hommes d'un autre âge
qui vivent en contact avec le monde moderne.
D«,:^i i„ Google
LE PROORAMUB DES MODERNISTES lS9
sans en comprendre les aspirations, le langage,
les idéals. Mais cette partie du clergé, qui occupe
présentement presque tous les degrés de la hié-
rarchie, ne doit pas nous interdire, à nous qui,
après notre éducation scolastique, nous sommes
efforcés d'apprendre ce langage et de compren-
dre ces idéals, d'accomplir l'œuvre de concilia-
tion et de synthèse entre la vieille tradition
catholique et la nouvelle mentalité, les nouvelles
aspirations sociales. Au contact, non pas seule-
ment extérieur, avec le monde dans lequel nous
vivons, nous avons formé un beau rêve d'unifi-
cation ; nous avons acquis la conviction que la
parole de la science la plus révolutionnaire ne
peut en aucune façon entamer les affirmations
de la foi religieuse, parce que les procédés de
l'esprit d'où jaillissent également la science et
la foi, sont indépendants entre eux et se déve-
loppent avec une logique complètement diffé-
rente, et que les aspirations fondamentales de
la démocratie, de ce mouvement collectif et
altruiste sur une plus large affirmation de la
justice parmi les hommes, ont quelque chose
de religieux qui les rapproche étrangement
de l'attente messianique dont le Christ a incul-
qué le sentiment à ses disciples. Forts de cette
conviction, nous nous étions mis à rapprocher
l'expérience religieuse du christianisme des don-
nées de la science et de la philosophie contem-
poraine et à signaler les éléments de religiosité
D«,:^il,,G00^k'
160 LE PROGRAMUB DBS 1I0DERNI8TES
et de christianisme que la démocratie porte en
elle-même. Voici que l'autorité ecclésiastique
nous arrête brusquement dans notre route et
condamne notre labeur. Eh bien, noua sentons
le devoir de lui faire une amoureuse violence,
le devoir de défendre, à tout prix, la tradition
catholique dont elle a la garde, d'une manière
qui, momentanément, peut mériter la condam-
nation de l'autorité elle-même, mais qui, nous
en sommes certains, finira par prévaloir à son
propre avantage.
On prétend, il est vrai, que nos opinions sont
incompatibles avec l'enseignement catholique
et que si l'Eghse les acceptait, elles l'entraîne-
raient à une ruine complète. Nous avons essayé
de prouver dans les pages qui précèdent l'inanité
de semblables craintes, nous avons même dé-
montré que la partie substantielle de notre pen-
sée philosophique, dépouillée des exagérations
et des inexactitudes que le désir polémique de
nous écraser a seul pu attribuer à notre mouve-
ment, n'est pas autre chose que le retour à
certains principes, à demi oubUés, auxquels dans
son âge d'or antérieur à la acolastique, l'apologé-
tique chrétienne a toujours eu recours. Mais
outre cette démonstration directe de la légiti-
mité de nos positions intellectuelles et religieuses
nous pouvons invoquer encore un argument
, indirect que nous exposerons ici, parce qu'il
nous parait répondre triomphalement à ceux
D«,:^i i„ Google
LB PHOORAMME DES UODERNISTBS 161
qui jugent notre mouvement comme funeste au
catholicisme tel qu'il existe aujourd'hui au
point de vue doctrinal et hiérarchique. C'est le
suivant : dans chaque crise de développement
traversée par le christianisme au cours de son
histoire, lorsque entre un passé religieux devenu
rigide et insuffisant et un monde nouveau dont
la culture semblait contraire à celle d'autrefois,
un groupe d'hommes s'est levé dans l'Eghse
avec l'intention de fondre harmonieusement
avec la pensée de l'époque la religion ancienne,
mais au fond immuable dans sa simplicité comme
fait de conscience, on a entendu s'élever aussi
la voix des timides, pour dénoncer, avec une
tristesse craintive, la noble entreprise comme
un signe avant^coureur de corruption et de
mort. Le contraste a toujours eu des effets bien-
faisants : les timides ont exercé une providen-
tielle fonction de modérateurs pour l'œuvre des
hommes d'initiative audacieuse, exposés à com-
mettra plus d'un écart. Mais après les premières
hésitations, lorsqu'une fois la supériorité de la
mentalité nouvelle sur l'ancienne n'a plus fait
de doute, on a vu, sur les traces de ceux que
l'on avait montrés au doigt comme des pertur-
bateurs, toute la collectivité des fidèles se mettre
en mouvement à son tour avec assurance et
reconnaissance. Les exemples de ce genre abon-
dent dans l'histoire de l'Eglise. Choisissons-en
quelques-uns des plus significatifs.
D«,:^i i„ Google
162 LB PROGRAHHE DBS MODBRNISTEa
Quand sur la fin du deuxième siècle, le gnos-
ticisme, avec les raffînements de sa pensée théo-
sophique, arrachait à l'Eglise ses prosélytes les
meilleurs et les plus cultivés dont l'esprit se
pliait diflicilement au schéma trop simple et
inélégant de la doctrine chrétienne, il se trouva
quelques hommes pour sentir le besoin de résou-
dre ce problème vital ;Ia rehgion nouvelle devait-
elle absolument refuser la collaboration de la
philosophie classique, en se privant ainsi du
moyen le plus efficace d'attirer les classes culti-
vées, ou devait-elle chercher avec amour à con-
ciUer la magnifique tradition de la philosophie
classique avec le nouvel esprit évangélique ?
Jusqu'alors, le petit nombre de ceux qui avaient
tenté d'associer la spéculation avec l'enseigne-
ment chrétien, avaient sacrifié celui-ci à celle-là,
en le dépouillant de tout caractère d'originahté
De tels faits avaient suscité dans la masse des
fidèles une vive défiance à l'égard de la philoso-
phie et les gnostiques, auteurs de cette fusion
hâtive et inharmonique, avaient fini par se déta-
cher de l'Eghse ofRcielle. Mais avec la défiance
passive, le problème n'était point résulu ; il
renaissait au contraire infatigablement, finis-
sant par s'imposer à l'attention de ceux qui,
concevant l'Eglise comme une force de progrès
et de difTusion, se sentaient attristés par le peu
de succès de la propagande chrétienne dans les
milieux où la culture était précisément le plus
: L.OO^k-
DES HODERNtSTES 163
répandue. Parmi ceux-ci. Clément, successeur
de Pantène dans la direction de l'école catéchis-
tique d'Alexandrie, entreprit courageusement
de démontrer non seulement la compatibilité,
mais encore l'intime corrélation et l'affînité
entre la philosophie païenne et le christianisme.
Eh bien, ce grand et utile dessein rencontra
tant d'opposition de la part de ses coreligion-
naires, que le projet conçu par Clément d'écrire
une trilogie : l'Exhortateur, le Pédagogue, le
Maître, dans laquelle on passât lentement de la
préparation éthique de la religion à la démons-
tration rationnelle de la foi, demeura inachevé
et la troisième partie, la plus importante, fut
remplacée par cette composition bizarre, appe-
lée allégoriquement « les Tapis (Stromata) »,
dans laquelle le savant alexandrin a cherché à
montrer la justesse de son intention et l'ortho-
doxie de ses propositions. L'ouvrage est accom-
pagné de reproches indéterminés aux fidèles,
ses compagnons simpliciores, qui jettent le dis-
crédit sur l'œuvre du maître et s'en vont débla-
térant contre les vains essais d'apologétique
philosophique. « Il est inutile d'écrire des livres,
selon eux, dit Clément, mais si les méchants en
composent, eux qui par leurs ouvrages ruinent
l'âme des lecteurs, interdira-t-on d'en écrire à
celui qui prêche la vérité ? C'est une chose dési-
rable que de laisser après soi d'excellents en-
fants ; or les livres sont précisément les enfants
e.ocgk-
164 U PROaRÀlIllK DIS UODBRNIBTGB
de l'âme. » (Str. I. i). Et ailleurs : » U y en a qui
repoussent la philosophie et recherchent simple-
ment la foi toute nue ; mais cela équivaut à
vouloir cueillir tout de suite les grappes de
raisin, sans avoir préalablement cultivé la
vigne » (Str, I, 4), Ne pourrait-on pas appUquer
ces paroles à ceux qui dénoncent le modernisme,
coupable seulement de vouloir retrouver les
chemins de la foi à travers la mentalité critique
et philosophique qui caractérise nos contempo-
rains ? Mais en dépit des oppositions momenta?
nées, le programme inauguré par Clément d'Ale-
xandrie, le programme de la fusion entre la phi-
losophie classique et la pensée chrétienne triom-
pha jusqu'à devenir l'apologétique officielle du
catholicisme. L'Eglise se révéla comme un
organisme social dans lequel existe, ainsi que
dans tout être vivant, un instinct infaillible
qui, après une courte hésitation, le pousse vers
les solutions dont dépend sa propre existence.
Un autre exemple très significatif d^ luttes
que n'ont pas manqué de soulever ceux qui, en
étudiant les exigences de leur temps, ont cher-
ché k leur adapter l'Eglise, nous est offert par
cette même scolastique, devenue aujourd'hui
sans nul doute un encombrement pour la vie
intense du catholicisme, et qui représenta au
contraire en son temps un vigoureux effort
révolutionnaire contre la tradition philosophi-
que des Pères et, comme telle, fut jugée par les
D«,:^il,,Gl.lO'^li:
LB PROGRAMME DES MODERNISTES ^65
Pontifes romains. Aristote, en effet, chez qui
Saint Thomas a si judicieusement puisé, est
très peu connu dans le haut Moyen-Age. Ce
sont seulement les Musulmans qui en ont fait
connaître aux Occidentaux les œuvres les plus
importantes dont il est fait pour la première fois
mention en 1210, dans un synode provincial tenu
à Paris ; il y fut décrété que « ni les livres d'Aris-
tote concernant la philosophie naturelle, ni
aucun comjnentaire de ces livres ne pouvait se
lire à Paris publiquement ou en secret ». En
1231, Grégoire IX, en rétablissant l'Université
parisienne, faisait sienne, par son approbation,
la condamnation portée. En 1263, Urbain IV
rénouvelle encore la prohibition, destinée cepen-
dant désormais k échouer devant la tendance
irrésistible du temps qui, retrouvant dans la
philosophie aristotélicienne, l'expression la plus
exacte de ses propres dispositions intellectuel-
les en face de la réalité, cherchait à se l'appro-
. prier et à l'harmoniser avec la dogmatique
cathoUque, traduisant à son tour le sentiment
religieux du christianisme parvenu à la pleine
conscience de lui-même. Le plus grand artisan
de cette œuvre d'harmonisation a été Saint
Thomas d'Aquin, en butte tout d'abord aux
défiances de ces collègues et de ses supérieurs à
cause de ses sympathies aristotéliciennes, auto-
risé ensuite, par une permission spéciale du
Pape à l'étude du Sta^rite et qui, finalement,
i,Coo^k'
idd LE PROGRAMME DES UODEHMSTES
triompha dans sa Somme, synthèse parfaite de
la méthode et de la métaphysique d'Aristote
avec le dogme. Saint Thomas est ainsi le vrai
moderniste de son temps, l'homme qui a tenté,
par un admirable effort de persévérance et de
génie, la fusion de la foi avec la pensée de son
époque. Et nous sommes les vrais continuateurs
des scolastiques dans ce qu'ils ont eu de plus
méritoire : le sens merveilleusement fin de l'adap-
tabilité de la religion chrétienne aux formes
changeantes de la philosophie et de la culture
en général.
Ces exemples et d'autres semblables sontpour
nous un haut enseignement. Nous pouvons en
retirer l'espoir que notre œuvre, aujourd'hui si
maltraitée, sera un jour appréciée à sa juste
valeur et que l'Eglise y trouvera ces avantages
que nous, chercheurs fidèles et désintéressés de
son bien, nous avons eus en vue. Les idées ne
sont point pressées. Et si nous ne devons pas
voir le couronnement de nos travaux, si le
patient effort de rénovation religieuse ne doit
pas aboutir si promptement que nous puissions
jouir des résultats, nous ne nous affligeons pas
pour cela, habitués que nous sommes à cacher
notre personne derrière l'idée dont nous sommes
les défenseurs modestes, et nous ne perdrons
pas non plus confiance. Nous avons jeté notre
semence dans le sillon ; elle germera en son
temps.
D«,:^i i„ Google
iGDAMHE DES HODERMSTBS iQl
Cette inébranlable confiance dans le succès de
notre action nous attirera peut-être encore
l'épithète d'orgueilleux et d'entêtés. Les plus
graves injures, en effet, ne nous ont pas été
épargnées. L'Encyclique n'a pas craint de nous
appeler « ennemis de la croix du Christ qui
s'efforcent d'ébranler dans ses fondements le
règne de Jésus-Christ, » De tout le document
papal, ce sont ces phrases gui, tombant sur
nous de la bouche de notre père, nous ont causé
la plus cuisante douleur. Nous ne voudrions pas
faire des déclarations qui pussent ressembler,
même de loin, à des louanges personnelle ;
mais, puisque nos personnes sont hors de cause
et que ce n'est pas pour elles que nous cherchons
des applaudissements, mais pour les idées que
cet écrit a pour but de répandre dans le monde,
nous souvenant de la parole évangélique : « C'est
à leur fruit que vous les connaîtrez y, nous ne
pouvons nous soustraire au devoir de protester
contre de si amers reproches. S'il est une chose
qui alimente du feu de son enthousiasme notre
existence, à l'honnêteté exemplaire de laquelle
l'Encyclique a pourtant dû rendre hommage,
c'est le désir d'étendre le règne du Christ et d'en
rendre plus vaste, plus vivant, plus conscient
le triomphe parmi les hommes. Et l'Encyclique
nous voue au mépris des fidèles comme des
insulteurs de la Croix ! En réalité, c'est nous
au contraire qui croyons être aujourd'hui les
D«,:^il,,G00^k'
168 U PROOn&MME DBS MODERNISTES
ouvriers les plus actifs de son œuvre de conquête
dans le inonde.
Nous avons passé de longues veilles dans
l'angoisse du doute, alors que l'étude loyale de
la science ébranlait en nous l'édifice artificiel
de l'interprétation scolastique du catholicisme.
A ce moment-là cependant nous n'avons pas
manqué de foi, mais confiants dans l'hannonie
qui ne s'est jamais démentie entre la vérité de
la révélation et la vérité de la raison, nous avons
tenté, en puisant aux sources les plus pures du
christianisme, de créer une nouvelle synthèse.
A peine l'avons-nous entrevue que nous avons
cherché à la formuler et à la faire connaître à
nos frères, à qui le langage scolastique est désor-
mais irrémédiablement incompréhensible.
Notre apostolat ne nous a pas rapporté des
honneurs, mais bien des persécutions morales
et matérielles, des désillusions et des luttes très
pénibles. Mais nous aVons toujours eu présent
à l'esprit l'énergique précepte de l'Evangile qui
nous impose de savoir sacrifier, lorsqu'il le faut,
tout ce que nous avons de plus cher, afin de
travailler à l'avènement du Royaume de Dieu.
Notre vie s'rat écoulée, elle s'écoule dans un
persévérant effort pour faire converger vers la
volonté divine qui se réalise progressivement
dans le monde, toutes les énergies spirituelles
des hommes. Nous croyons donc avoir pleine-
ment droit de cité dans r£gUse et noua peiuona
D«,:^il,,Gl.lO'^li:
DES MODERNISTES
même être ses Sis les plus dévoués et les plus
généreux. Ne oonservons-noua pas et ne cher-
chons-nous pas à ressusciter les plus pures tra-
ditions du christianisme ? Le christianisme, en
effet, a été, à son origine et aux époques les plus
glorieuses de son histoire, un puissant stimulant
et une profonde espérance par lesquels les esprits
ont été soulevés vers une plus noble conception
de la vie, vers une activité plus intense et plus
désintéressée pour le bien collectif. Nous vou-
lons qu'il redevienne une force de progrès dans
le monde. C'est pourquoi, maintenant que la
civilisation contemporaine, pénétrée d'esprit
critique et avide de progrès démocratique,
s'achemine vers une expérience supérieure de la
religion chrétienne, nous demandons que la
croix du Christ ne soit pas invoquée contre la
lumière de la vérité et qu'on ne la mêle pas aux
âpres compétitions de la vie politique pour
essayer d'arrêter l'inévitable ascension des hum-
bles. Devant nous sourit l'idéal d'une Eglise
redevenue conductrice des âmes dans leur dur
pèlerinage vers le but lointain où les pousse
l'esprit de Dieu, qui est l'esprit de fraternité et
de paix. Et nos efforts tendent à introduire dans
les âmes cette nouvelle conscience des impéris-
sables destinées du catholicisme dans le monde.
La condamnation momentanée de notre œuvre
ne saurait nous abattre. Si même l'Eglise offi-
cielle, comprenant mal la droiture de nos inten-
lGoo'^Ic
170 LE PROflRAUME DBS HODKRNlSTEa
tions, devait noua repousser d'une manière brus-
que et plus violente encore que tout ce qui a
été fait contre nous jusqu'à ce jour, nous ne
perdrions pas pour cela notre tranquillité de
conscience, nous souvenant de ces lumineuses
paroles de Saint Augustin (1) que nous citerons
ici comme conclusion de notre défense :
a La divine Providence permet souvent que
des hommes exemplaires soient chassés de la
communauté chrétienne par suite des menées
bruyantes de gens excessivement charnels.
Alors, en supportant avec une parfaite patience
pour la paix de l'Eglise cet injurieux outrage,
sans aucune tentative de schisme ou d'hérésie,
ils peuvent enseigner aux hommes avec quel
loyal amour et quel sincère attachement on
doit servir Dieu. Leur ferme propos sera de
revenir, les dissensions terminées, dans le sein
de la collectivité, ou, si cela leur demeurait im-
possible tant que subsisteraient les motifs de
leur séparation, de continuer du moins à aimer
ceux-là même qui, par leurs ténébreuses machi-
nations, les ont fait excommunier et de mainte-
nir et défendre par leur vaillant témoignage,
jusqu'à leur dernier soupir et sans aucun esprit
sectaire, cette foi qu'ils savent être celle de
l'Eghse cathohque. Ces hommes-là, le Père qui
voit dans le secret, en secret les couronne, »
FIN
(1) De vBr. Relig. VI.
i:™,i,.-M I , Google
TABLE DES MATIÈRES
Lellre à l'éditeur 1 à XVI
iDtroductioD : Nécessité d'une expllcallon ...... s
PREMIÈRE PARTIE. — La OHtlqus
mad«rnlst0É
Ch. I. — Le point de dépari du modernisme est
la critique 17
Cir. II. — La critique littéraire de l'ADclen Tes-
tament 30
Ch. III — La critique et le Nouveau Testameat. SI
Ch. IV. — La critique et l'évolution du Chrlstia-
Dlsroe 86
DEUXIÈME PARTIE. — L'apologie
•nodarnlsl».
Ch. L — Sommes-nous agnostiques 1 111
Gu. II. — Notre Immanentisme. Ses caractères et
sea conséquences HS
Ch. 111. —Transformation et défiguration 136
Ch, IV. — Questions particulières 141
TROISIÈME PARTIE. — Ch. unique. — La Persé-
cution contre les modernistes 163
CONCLUSIONS. - Ch. unioub. - Nos motifs d'es-
D«,:^i i„ Google
D«,:^i 1„ Google
EN TENTE A NOTRE LIBRAIRIE
LEFRANC (Abbé E.).
Los Conflits de la Science et de la Bible
Id-19 de XlI-323 pages, franco. 3 Ir. 50
L'ouvrage de M, l'abbé Letranc est une ceuvre de haute
vulgarisalion. Beaucoup de catholiques et de prfilres igno-
rent encore l'état exact des questions qui se ratlacheni à ce
sujet délicat et passionnant : Les Conflits de la Sdente et
de la Bible. Il était bon qu'un prêtre savant et orthodoxe
nous dise i cet égard toute la vérité-
Dans un eiposé lumineui l'abbé E. Lefranc passe succes-
BJvemenl en revue : la Cosmogonie de la Bible : l'Histoire
naturelle sacrée (règne végétal et animal) el l'Anthropologie
biblique <de l'homme primitif et du déluge). Il examine A
propos de chacune de ces sciences, les thèses des livres saints,
les données acquises par la science profane et l'état actuel
de l'apologétique.
Par cette étude rapide écrite d'un style alerte, le lecteur,
est mis à même de conclure en connaissance de cause sur
une foule de questions mises à l'ordre du jour par l'œuvre
de M. Loisy. On ne peut être que reconnaissant à M. Lefranc
d'avoir rendu ces divers problèmes accessibles aux profanes.
( Ce livre est un livre de bonne foi, posant les questions
sur leur véritable terrain et ne cherchant pas à les escamoter :
il est appelé à rendre les plus grands services, spécialement
aux maîtres chargés de renseignement religieui dans les
Collèges. 11 faut, en effet, se persuader que les jeunes gens
ont droit è la stricte vérité sur ces questions. La leur cacher,
sous quelque prétexte que ce soit, c'est les vouer, comme
leurs aînés, à une crise inteltectuelle qui peut leur être fatale.
E( ce que nous disons là du Collège, on peut le dire des
patronages et des catéchismes de persévérance. Le livre de
M. l'abbé Lefranc devrait y devenir classique. » iDemain,
•jo mars 1906).
D«,:^il,,G0l.>^k'
SAIHTTVES (P.). — Lm Saints tacceaaeura dM
Disux — A-»s(iis âe mythologie chrélienve. Paris,
1907, 1 fort vol. de 416 pages, in-8, br., fraoco. 6 fr.
INTRODUCTION. - Le Rencontre rf«i Dieux.
PREMIÈRE PARTIE — LOrigine du cutlt dis Saints.
— Ch. I. Le i^ulte des héros et le culle des Sainis. - Cli. IL
U culle des morts et le culte des Saints.
DEUXIÈME PARTIE- - Les sources dis légendis hagia-
graflii^tet - Ch. 1. Première source de documents : La
cipllécs - Ch. Il Deuxième source : L'interprétation des
images, Episodes légendaires, Corps saints, personnages
saoréa nés d'une fausse ciégÈse iconographique - Ch. III.
Troisième source : Les Temps et le mobilier liturgiques.
PersonniHcaiion des formules et des fêtes liturgiques.
Objets rituels translormés en reliques. — Ch. IV. Quatrième
source : Les fables et les paraboles dans la vie des Saints.
— Ch. V. Cinquième source : Les traditions populaires, L'èmi'
(Çration des contes et l'amour du clocher. - Ch. VI. Les
du surnaturel. - Ch. VII Les Traditions mythiques. De la
yeiùse des contes el des légendes.
TROISIÈME PARTIE. - Mytholoiti' dis noms fropres
~ Ch I. L'Evolution des noms propres ; i" Mode : Les dé-
nominations d'un premier dieu deviennent des dieux ou dea
sainis disiincls. — i' Mode : Les noms de deux divinités
dilTÉrentcs se soudent pour former une divinité ou un saint
nouveau. — t Mode : De la fusion des homonymes ou des
semi homonymes. — 4 Mode : Dédoublements de personna-
ges sacrés résultant d'eiplications étymologiques successives.
— ;• Mode : Du rOle des métaphores dans l'invention, le
groupement et l'organisation des noms sacrés. - C.h. II. La
recherche des filiations verbales : La méthode traditionnisie
et la comparaison des légendes des personnages de même nom.
La méthode topographique. Du rapprochement des noms de
lieux, pays ou sanctuaires avec ceux des dieux et des saints
qui s'y sont succédés. — Ch. V. La reclierche des filiations
verbales. La méthode astronomique. Des saints A noms paicni
en relation avec les fêles dont l'origine remonte aux dieux
et aux génies païens.
POSTFACE. - L'idée de Sainteté.
NOTA. — Ce livre dont la méthode rigoureuse inau-
gure un progrès considérable dans ta recherche des rapports
des cultes et des mythologies, a sa place marquée dans toutes
les bibliothèques Bcienlinques.
D«,:^i i„ Google
EN TENTE A NOTRE LIBRAIRIE
HODTIH (A.).
LA QUESTION BIBLIQUE AU XX° SIÈCLE
2" édilion revue et augmentée.
Paris, 1006, 1 beau vol. in-8 de a31 pages,
fraoco. 4 fr,
C«ltDp« sAdale, i" juin 1906.
que telle qu'elle ressor
de l'auioriié dans les p
-- K. Muniti.
De^ialn, ao avril 1906. p. 14.
■ Peui-être reprocliera-t-on à l'auieur, malgré la modjra-
lion de son exposition et de sa critique. cTavoir déchiré
d'une main trop luurde les voiles derrière lesquels la sagesse
des autorités religieuses abritait un silence jugé nécessaire
sur des questions laissées encore à la controverse. Rien,
la lecture de ce nouveau livre, qui ramÈne au premier plan
de l'actualité l'examen le plus froidement impartial de l'es-
sence des enseignements évangéliques. »
HevD« de l'InsIraelloD publique en Belgique, 1906,
p. i8i.
« Cette nouvelle période de la controverse biblique est
exposée avec précision et sincérité, sans équivoque ni réli-
cence, en laissant parler eux-m£mes tes textes et les faits.
Aussi avec sa très riche doeumenlatïon. son ton calme et
modéré, sa phrase nerveuse et sobre, l'suieur a-I-il écrit un
des chapitres les plus passionnants de l'histoire des idées
contemporaines, n
Sen»l«e rellgienae du diocèse de Cambrai, a juin 1906.
• Le 14 mai. S. E. le cardinal-vicaire de Rome a pris une
mesure dont il y a peu d'exemples, si toutefois il en est. Il
a défendu, sous peine de péché mortel, de vendre ou de lire
un livre qui n'était point encore livré au public ('£.>> Question
bibliqut au XX' tiidt)..... Avant que cette défense n
connue en France, et usant, d'ailleurs, des autorisa
qui m'ont été données en raison de mes fonctions, je m'étais
'" ' -' '•■- n pur produit de l'enfer, u
D,<,,r,:^i 1„ Google
EN VENTE A LA MÊME LIBRAIRIE
SAINTTTES (P.). — La Referma Intall«ctnelle du
Clerté et la liberté <I'«nMlcBein«nt. Par'\i, 1904.
. 1 beau vol. de XI-341 p., /raneo 3 fr. SO
■e«n« tlalTCraltalrr, i; février 1904.
J'ai lu ce petit livre si vivant ei si linctre avec beaucoup
de plaisir. L'auteur eat une <je cea intelliEencei droiiea cl
librH qui, dans le catholicisme... pour l'intérêt mËme de
leur relig-ion, réclimene la liberté de «'instruire, de penser,
de pratiquer lei méthodes critiques et scientifiques, la liberté
aussi de connaître et d'aimer l'esprit de lejr temps.
G. L.NBON.
SCBalae Beliclenae <le Salat-FIaar.
L'ouvrage que nous présentons aux lecteurs de la Semaine
traite avec une sincériié voisine de l'auduce celte délicate
question d'une réforme intellectuelle du clergé L'auteur
sabrite sous un pseudonyme. Je le soupçonne d'être un
prêtre. Il est un peu triste que l'intolérance de quelques-uns
obli^ des esprits aussi vigoureux et aussi francs à se
1 prêtres cultivés.
L'abbé M. LisaoHGUts.
Le Siècle, 1 1 janvier 1904.
Voici un ouvrage que j'ai pu lire jusqu'au bout en man-
3uani à toutes sortes de petit» devoir». J'en connais peu
'aussi iniérewants,
H. BussoN, président de la Chambre.
L'ANfarlK, 13 janvier 1904.
En parcoL
:s pages, 01
1 s'aperçoit ti
l'auteur doii
t posséder é fond
son sujet, êl
re du btiiment
. Ce livre e
st d'sbord un
plaidoyer pour
la liberté d'i
is, en même temps, une eriti-
que del'ensi
Signem
ent clérical.
1 s'appuie ï peu
près unique]
jr des texte
s ecclésisBtlqi
les et beaucoup
seront stupéfiés de
voir ce que
pensent les m
embres les plus
du cler
gé de l'enseignement donn
éaoi clercs ., »
Ed. Puech.
Aanales de Phllasopble chr^ttenne, janvier 1904.
Je souhaite que le livre de M. Saintyves ne passe point
inaperçu ; car il dénonce un péril grave et il nous propose
des réformes excellentes. J. Femiit.
D«,:^i i„ Google